Discours d’Agnès Buzyn - 16e Congrès de l’Encéphale, le vendredi 26 janvier 2018

seul le prononcé fait foi

Monsieur le président du conseil scientifique, cher Professeur Raphaël Gaillard,

Mesdames, messieurs les professionnels de santé, chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

Selon l’Organisation mondiale de la santé une personne sur 4 sera touchée par des troubles psychiques à un moment de sa vie d’ici 2020, – troubles psychiques qui comptent parmi les causes principales de morbidité, et de mortalité.

Malgré l’augmentation de la prévalence des maladies mentales, la prévention est insuffisante, et les diagnostics trop tardifs.

De la même façon, l’inclusion sociale des personnes malades est insuffisante, et les politiques publiques ne se sont pas saisies de l’accès de cette population à une vie active, citoyenne.

Aujourd’hui encore, les troubles psychiques demeurent un tabou, un objet de stigmatisation. Le plan d’actions que je propose doit faire évoluer les mentalités :

  la psychiatrie, et les personnes souffrant de troubles psychiques, ne doivent plus être marginalisées : j’en ferai un objectif prioritaire de mon action.

A ces défis de taille, s’ajoutent ceux des inégalités sociales et territoriales En tant que ministre des solidarités, je porte une attention toute particulière à ces questions, et particulièrement pour les populations vulnérables :

  aux enfants, aux adolescents,

  à nos concitoyens en précarité sociale,

  aux personnes âgées, aux personnes en situation de handicap,

  ou encore à celles et ceux placés sous main de justice.

Le constat est unanime, la psychiatrie est une discipline d’avenir, mais l’organisation des soins en santé mentale et leur place dans la société n’est pas à la hauteur de ce constat.

  La situation nous engage, vous et moi, à sortir des sentiers battus, et à oser.

  Oser, et assumer ses responsabilités : c’est ce que je suis venu vous proposer ici.

1.1. Pour ce faire, je mènerai mon action en deux temps.

  Certes, je vous propose des mesures d’urgence, dès aujourd’hui, que vous partagez avec moi – certains d’entre vous me les avaient formulées lors de notre rencontre, le 18 décembre dernier.

  Néanmoins, ce temps de l’urgence ne doit être que le début d’un chemin à parcourir, ensemble, sur le long-terme.
Par conséquent, d’autres mesures seront nécessaires, et devront être concertées :

  non seulement avec des professionnels ;

  mais aussi avec des personnes concernées ;

  sans oublier, naturellement, leurs proches et leurs familles.

1.2. Ces dernières années, pléthore de rapports – tous de grande qualité, j’en conviens – ont été rendus publics sur la psychiatrie et la santé mentale.

Pour autant, ces rapports, aussi intéressants soient-ils, n’ont donné lieu qu’à peu d’actions concrètes.

Tant et si bien que l’Assemblée nationale préconisait même dans la proposition « 30 bis » de son rapport de 2013, je cite :

  « de diminuer le nombre de rapports ;

  et de donner la priorité à la mise en œuvre des recommandations récurrentes ».

Depuis, 5 nouveaux rapports sont sortis, alors même que :

  leurs constats s’accordent sur les problèmes actuels,

  et sur les moyens d’y faire face.

Pourtant, tout décideur doit éviter deux écueils : l’impréparation et l’irrésolution.

  Le temps de la préparation est passé : je dois dorénavant prendre mes responsabilités, et faire preuve de résolution.

  Ma conscience le commande, comme votre exigence.

1.3. C’est pourquoi ces mesures s’inscrivent dans une démarche holistique de prise en charge de la pathologie psychiatrique.

Ce fut l’objet de la réunion avec les représentants de la psychiatrie, que j’ai organisé le 18 décembre dernier.

Cette ambition, c’est aussi celle de la stratégie nationale de santé (SNS).

Maintenant qu’elle a été publiée dans le décret du 31 décembre 2017, elle nous donne un cadre. Il doit permettre de, changer la donne en la matière, qu’il s’agisse :

  de prévention de la souffrance psychique et de promotion du bien être mental ;

  de lutte contre les inégalités sociales et territoriales ;

  de qualité et de pertinence des soins, et de la sécurité du patient ;

  ou encore d’innovation, à la fois technologique, scientifique, et organisationnelle.

Vous avez mis tous ces enjeux au cœur du programme de votre congrès, et je m’en réjouis.

1.4. Avant d’entrer dans le cœur du sujet qui nous occupe aujourd’hui, je souhaite au préalable aborder la philosophie de ce plan d’actions.

Certes, il doit améliorer la prise en charge du patient – et ce grâce à une meilleure coordination entre acteurs du parcours de soin.

Cependant, je veux surtout qu’il change le regard que tout un chacun porte sur la maladie, et, pour parler franc, de sortir de la vision stigmatisante.

  « Il n’y a pas de fou, il n’y a que des personnes malades », disait le professeur Henri Baruk, dans son merveilleux ouvrage, Des hommes comme nous.

Nos politiques doivent avoir en vue la prise en charge du malade dans toutes ses dimensions :

  le soin tant psychiatrique que somatique ;
  l’inclusion sociale ;

  la réinsertion ;

  et l’accès au droit commun.

Vous vous battez :

  pour que la parole du patient ne soit plus rejetée,

  pour qu’elle soit reconnue à sa juste valeur.

Avouons-le, la santé mentale traîne encore au rancart de nos tabous, et constitue l’impensé, la part d’ombre de nos sociétés.

  Sitôt que quelqu’un parle de santé mentale, nous pensons « folie », nous pensons « exclusion »,

  et l’hôpital psychiatrique incarne encore, malheureusement, une hétérotopie, un lieu autre, un site qu’il faut cacher, que l’on ne saurait voir.

2. Aussi, le nerf de la guerre contre les pathologies mentales est constitué par le triptyque « formation -recherche enseignement ».

2.1. A cet effet, je renforcerai la mobilisation des acteurs dans le repérage précoce des pathologies.

Le diagnostic des pathologies mentales doit être le plus précoce possible, pour une meilleure insertion sociale des patients.

(i) Nous renforcerons la formation des médecins généralistes, sur les maladies mentales.

Ils sont en première ligne dans le dépistage des pathologies, et doivent incarner les chevilles ouvrières du parcours du patient :

  C’est pourquoi 100% des médecins généralistes auront un stage de psychiatrie ou de santé mentale durant leur formation.

  Ce stage, dont les modalités seront concertées avec les acteurs concernés, sensibilisera les professionnels aux enjeux de la santé mentale.

  Je souhaite que la gradation des soins, conçue trop souvent comme l’apanage de l’hôpital, devienne aussi une problématique des professionnels exerçant en ville.

  Le médecin généraliste doit être le premier recours, en vue d’un bilan initial et du traitement des pathologies les moins lourdes ;

  il doit aussi pouvoir, il doit aussi savoir orienter, quand la situation le nécessite, vers le spécialiste : le psychiatre.

Pour permettre à ces médecins généralistes d’être ce premier rempart, je souhaite aussi leur donner du temps :

  et, dans cette perspective, je demanderai au directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) de déployer les consultations complexes en psychiatrie, pour les médecins généralistes.

(ii) L’enjeu de la formation concerne aussi les équipes en psychiatrie et les acteurs de la santé mentale, dont le travail est indispensable :

– je pense aux infirmiers, aux psychomotriciens, aux aides-soignants, ou encore aux orthophonistes.

La réingénierie des orthophonistes vient d’être réalisée : elle a été un succès. Reste alors la question des infirmiers aux compétences spécifiques en psychiatrie.
  Je ne souhaite pas recréer ces postes d’infirmiers tels que l’histoire les a connus : l’heure n’est plus à la création de deux corps opposés du « soma » et de la « psychè ».

En revanche, je veux que les professionnels exerçant en psychiatrie soient formés :

  en plus de la formation continue, qui est déjà une première réponse ;

  je veux que les infirmiers en pratiques avancées puissent se spécialiser en psychiatrie dès le lancement du dispositif à la fin de l’année.

Si la formation, qui est un enjeu majeur, permet de renforcer les équipes, elle ne saurait être la panacée.

2.2. Pour aller plus loin, je veux développer la recherche en santé mentale et en psychiatrie.

Alors même que la psychiatrie tient le 2e rang des spécialités en nombre de professionnels, sa recherche reste insuffisamment développée.

Malgré la grande qualité des travaux réalisés, chaque année :

  trop peu de projets de recherche sont financés ;

  et le nombre de publications scientifiques ne reflète pas suffisamment les talents et les compétences dont nous disposons.

Ce constat est encore plus prégnant pour la pédopsychiatrie, qui doit soigner et accompagner des jeunes particulièrement vulnérables ; pour lesquels la précocité du diagnostic est un déterminant majeur de leur évolution.

(i) En conséquence, toutes les facultés de médecine doivent disposer d’au moins un professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) en la matière – j’en ai déjà fait la demande aux doyens.

Notre effort de rattrapage a déjà commencé en la matière. A l’issue des révisions d’effectifs 2018, 2 postes supplémentaires ont été créés en pédopsychiatrie, ce qui porte l’effectif national à 41 emplois hospitalo-universitaires.

Qui plus est, je mettrai en place, avec Frédérique Vidal, un appel à projet (AAP), pour 10 postes de chef de clinique assistant (CCA) de pédopsychiatrie.

(ii) Pour aller plus loin, j’ai inscrit la psychiatrie comme thématique prioritaire au sein du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) 2018.

Aussi, les projets psychiatriques feront l’objet d’un traitement particulier.

Cette priorité faite à la psychiatrie devra déboucher sur un plus grand nombre de projets de recherche sélectionnés et financés, cela dès cette année.

Pour nous donner les moyens de notre ambition collective, je réfléchis à la mise en place d’une coordination nationale de la recherche en psychiatrie

Cette coordination devra permettre :

  de créer de la synergie entre vos travaux ;

  et vous apporter une aide et des ressources supplémentaires pour mener à bien vos projets.
  Elle doit nous placer au premier plan sur la scène internationale.

Les mois à venir devront dessiner les contours de cette organisation : je vous ferai une proposition précise avant 2019.

Nous devons maintenant nous mobiliser pour que la recherche française continue de progresser, car il s’agit là, in fine, d’améliorer les soins et la qualité de vie des patients.

La psychiatrie évolue, nous le savons, en bénéficiant des apports des neurosciences dites cognitives, qui étudient le cerveau, ainsi que les relations entre processus mentaux et fonctionnement cérébral.

  L’étiologie structurale des diagnostics psychiatriques restent inconnue,

  aucun biomarqueur n’est identifié,

  nous ne savons que pas ou peu établir de pronostic,

  et, les connaissances neuroscientifiques n’ont jamais permis un nouveau traitement psychiatrique sur la base d’hypothèses physiopathologiques.

Je souhaite que la recherche en psychiatrie permette de traiter cette question pour faire évoluer nos connaissances.

Pour autant, la recherche n’est pas notre seul levier.

En effet, ni le triptyque « formation – recherche – enseignement », ni le développement du travail en équipes pluriprofessionnelles, ni les bonnes pratiques en psychiatrie ne peuvent aboutir…

  …sans prendre appui sur les différents aspects du parcours de soin du patient.

2.3. Pour cette raison, l’organisation territoriale, et les liens entre le somatique et le psychique devront être renforcés.

L’organisation des soins met trop de distance entre les établissements spécialisés en santé mentale, les hôpitaux généraux et les praticiens de ville, de médecine somatique ou de psychiatrie.

  Aristote, sans doute le plus grand médecin de l’âme, ne disait-il pas de cette dernière, qu’elle était l’entéléchie du corps, c’est-à-dire sa destination concrète, sa réalisation effective ?

Autant dire que cette distinction entre le somatique et le psychique est pour partie spécieuse, que ce dualisme est pour partie artificiel.

D’autant que la demande de soins est en augmentation constante pour les addictions, où la causalité entre le corps et l’esprit est pour le moins réciproque. En effet :

  un Européen sur 2 admis en psychiatrie en Europe présente un trouble mental associé à un abus de substance ;

  et lorsqu’on se place du point de vue addictologique, un consommateur de substances psychoactives sur 2 souffre au moins d’un trouble de la personnalité.

Cette comorbidité, considérable, nous pose trois problèmes :

  d’abord, des problèmes diagnostiques : de nombreux symptômes psychiatriques sont induits par la consommation de substances psychoactives, ou par des signes de sevrage ;

  ensuite, des problèmes de pronostic, car la coexistence d’un trouble psychiatrique et addictologique aggrave mutuellement ces deux troubles ;

  enfin, des problèmes thérapeutiques, avec une pénalisation dans l’accès aux soins :
o soit les usagers n’avouent pas leur souffrance psychique, car isl mettent la focale sur leur comportement addictif ;

o soit ils nient leur problème d’addiction, considérant que c’est parce qu’ils souffrent psychiquement qu’ils consomment des substances.

(i) En conséquence, pour éviter toute forclusion au cours du parcours de soins, je renforcerai les coopérations entre les acteurs du soin somatique et du soin psychiatrique.

Je m’appuierai sur :

  les groupements hospitaliers de territoires (GHT),

  sur les communautés psychiatriques de territoires,

  sur les ressources offertes par la télémédecine ;

  ainsi que sur les projets territoriaux de santé mentale (PTSM), j’y reviendrai.

(i) Surtout, l’organisation territoriale nécessite des moyens incitatifs pour développer une offre de soins en ville.

Dans le cadre de la prochaine révision conventionnelle, je demanderais au directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) de prêter une attention toute particulière à la tarification des consultations en psychiatrie et en pédopsychiatrie.

  Je souhaite en particulier que les pédopsychiatres ambulatoires aient le même traitement que les médecins généralistes, eu égard à la consultation des enfants.

Nous devons par ailleurs développer les consultations en soins somatiques en cas de handicap mental :
  c’est une population fragile, dont les comorbidités sont fréquentes, et l’espérance de vie bien inférieure à la population générale.

2.4. En outre, nous devons, coûte que coûte, préserver l’autonomie et intégrer socialement les personnes malades.

  Les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) doivent, tout en réaffirmant la place du secteur, nouer un lien entre médical, médico-social et social.

L’inclusion est un enjeu majeur et nous devons y faire face collectivement :

  à ce titre, des recommandations de la Haute autorité de santé permettront des préconisations pour l’organisation de ces projets territoriaux de santé mentale.

  Je porterai une attention particulière à ce qu’elles soient appliquées sur le terrain.

Le renforcement de l’accès aux soins, en l’occurrence, nécessite des parcours mieux coordonnés autour d’un projet de soins et de vie.

A l’aune de ces considérations, nous le voyons, la souffrance a une histoire. A cette réalité, s’ajoute l’histoire de la violence, à laquelle vous faites face, au quotidien.

Nous devons créer des équipes autour de thématiques précises :

  et en lien avec ce contexte contemporain que nous connaissons malheureusement – un contexte aussi lourd que complexe.

2.5. La prise en charge du patient psychotraumatisé, nous le savons, est en nette augmentation. Je pense à la fois :

  au contexte de post-attentat ;

  et à cette grande cause du quinquennat que constitue la lutte contre les violences faites aux femmes.

Aussi le président de la République a annoncé 10 dispositifs de prise en charge du psychotraumatisme en 2018.

(i) Cette offre de soins concerne tous les types de publics :

  en particulier les femmes, pour lesquelles, c’est heureux, la parole se libère, peu à peu ;

  mais aussi les enfants – je pense aux mots de Françoise Dolto, dont ma propre mère s’est beaucoup inspirée – je cite la psychanalyste : «  On traumatise par le silence, on traumatise par le non-dit beaucoup plus que par le dit.

  Je pense enfin aux personnes migrantes, tant nous savons que le vrai traumatisme ne se constitue que dans « l’après-coup », pour parler comme Freud, longtemps après la migration elle-même.

(ii) Face à tous ces patients, la formation, tant des psychiatres que des autres professionnels de santé, doit être renforcée.

La détection des malades, comme leur intégration dans un parcours de soin, doit devenir un enjeu pour tous les professionnels de santé ; elle n’est pas le seul enjeu des psychiatres que vous êtes.

En accord avec la demande que vous m’avez faite par le biais de vos représentants le 18 décembre dernier, je demanderai au Professeur Benoit Schlemmer, président du comité de suivi de la réforme du 3ième cycle des études de médecine :

  de réfléchir à la création d’une formation spécifique transversale (FST), lors de leur prochaine révision en 2018.

o Il s’agit de proposer en 3° cycle une spécialisation à tous les médecins, dans cette prise en charge des victimes de psycho traumatismes, par essence transversale.

Je lui demanderai également de revoir, dans le détail, la maquette de la psychiatrie, en particulier sur la question de la formation des pédopsychiatres. Là aussi, vous serez associés : j’aurai besoin de vos propositions.

Enfin, et parce que je veux que la santé rime avec les solidarités, parce que je ne saurai accepter les inégalités territoriales…

3. …je veillerai à ce que se développent des indicateurs et des bonnes pratiques : ces outils sont précieux pour piloter les politiques publiques.

3.1. Améliorer les compétences, par ailleurs, nécessite des recommandations de pertinence et de qualité des soins.

J’ai mobilisé la Haute Autorité de Santé (HAS) pour produire, en concertation avec vous tous, des recommandations de bonnes pratiques professionnelles, comme cela fut le cas :

  en 2015, pour la prise en charge des troubles bipolaires ;

  ou, plus récemment, en 2017, sur l’épisode dépressif caractérisé.

Ces recommandations devront être complétées d’indicateurs de qualité des soins en psychiatrie, et en santé mentale.

Je pense, entre autres :

  au recours à la médication,
  à la précocité des diagnostics,

  aux délais de prise en charge,

  ainsi qu’au taux de suicide – sur lequel je reviendrai.

Ils figurent à ce titre dans leur programme de travail 2018 – 2022.

Jusqu’en 2017, le système d’information des établissements de santé autorisés en psychiatrie ne comportait que des données peu exploitables.

A la suite :

  des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) du 20 mars dernier,

  et de l’instruction ministérielle du 29 mars y faisant suite,…

…le système d’information des établissements a été complété pour recueillir ces données à partir du 1er janvier 2018 :

  il permettra une analyse de la situation, des tendances, et des disparités territoriales.

3.2. Qui plus est, je garde à l’esprit la réduction du recours aux soins sans consentement en psychiatrie, et, en particulier, du recours à l’isolement et à la contention :

– afin de prendre pleinement acte des critiques, pour certaines vieilles d’un demi-siècle, de dérives autoritaires ou disciplinaires, de ce « pouvoir psy » qu’interrogeait Michel Foucault.

Cet objectif de réduction du recours à ces dispositifs, nous devons l’atteindre collectivement, en interrogeant nos pratiques, en questionnant nos savoirs, en réformant nos formations.

3.3. Renforcer l’accès aux soins, c’est aussi mieux coordonner les parcours, autour d’un projet de soins et de vie :

Aussi, la psychiatrie sera l’une des premières discipline concernée par les financements des parcours innovants, tels que prévus par l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).

Cela étant, ni le triptyque « formation – recherche – enseignement », ni le développement du travail en équipes pluriprofessionnelles, ni les bonnes pratiques en psychiatrie ne peuvent aboutir…

4. …sans une meilleure organisation des soins et un financement substantiel de la psychiatrie.

4.1. Certes, la mise en place de la politique de secteur a été un tournant majeur dans l’organisation des soins psychiatriques dans notre pays.

Elle a posé les fondations d’une psychiatrie rénovée, tenant compte :

  du caractère chronique des pathologies psychiatriques,

  et du besoin de coordination et de suivi au long cours.
Cette politique de secteur, je souhaite ici la réaffirmer. Elle doit permettre de prendre en charge les patients en proximité :

  en privilégiant l’ambulatoire ;

  en tissant les relations de confiance nécessaires pour prévenir les ruptures de traitements – qui sont des facteurs de rechute et d’aggravation chronique.

  et en confiant une responsabilité globale de la population d’un territoire à une équipe hospitalière pluri-professionnelle.

4.2. Pour autant, les professionnels que j’ai rencontrés le 18 décembre m’ont fait part de leur crainte que les dotations de la psychiatrie, dans les établissements de santé :

  servent de variable d’ajustement en vue de l’équilibre budgétaire,

  et ce aux dépens de l’investissement et de la recherche.

Les dotations de la psychiatrie doivent donc faire l’objet d’une attention particulière :

  pour garantir le développement de la spécialité,

  et permettre les transformations attendues.

Je serai particulièrement vigilante à ce que le financement de la psychiatrie permette de répondre aux besoins de la population.

C’est pourquoi je veillerai à ce que le budget de la psychiatrie soit préservé dans les Groupements Hospitaliers de Territoires (GHT), et dans les hôpitaux généraux.

Plus encore, je souhaite que la définition d’indicateurs en psychiatrie, et en santé mentale, permette de réviser l’allocation des ressources en psychiatrie.

Aujourd’hui, le montant des dotations de fonctionnement est tributaire de l’histoire ; je souhaite qu’il soit, demain, gage d’égalité.

Par ailleurs, un consensus existe sur la nécessité de faire évoluer le modèle de financement de la psychiatrie.

  Les établissements autorisés en psychiatrie demeurent aujourd’hui financés par des dotations historiques, marquées par d’importantes inégalités entre régions et établissements.

  Nous devons faire évoluer à terme ce modèle :
o pour soutenir davantage la dynamique de projets ;

o et pour valoriser la qualité des prises en charge, dans une logique de parcours.

J’engagerai la réflexion avec les acteurs concernés, sur les objectifs du modèle de financement.

Cette réflexion s’ancrera dans une réflexion plus globale de transformation du système de santé que l’on connait ; et donc du modèle de financement afférent.

5. J’aimerais enfin terminer ces quelques mots sur un thème difficile, lourd – peut-être le plus violent -, celui du suicide.

Cet acte indicible, particulièrement marqué en France, qui se décide dans la solitude la plus crue, la plus nue, on l’impute souvent au suicidé.

  « Se suicider » est d’ailleurs un pléonasme, puisque « sui-cider », c’est déjà se tuer soi-même, sui caedere :

  comme si l’on voulait insister, de façon entêtée, sur la responsabilité du suicidé.

  Or, on est saisi par le suicide comme par un vertige, on subit le suicide, on est suicidé : on est un « suicidé de la société », disait le poète Antonin Artaud.

Je dis « on » à dessein, car l’environnement social joue lourdement sur cet acte définitif.

Pour endiguer ce fléau, et au-delà des soins, nous devons privilégier une stratégie de prévention qui associe tous les acteurs :

  du médecin de ville, aux professionnels de la psychiatrie,

  en passant par l’éducation nationale et par les associations d’aide et d’écoute.

Cette stratégie de prévention doit doter tous ces acteurs d’outils innovants, et qui ont fait leurs preuves.

(i) A cet effet, je souhaite la mise en place d’un dispositif de recontact du suicidant à sa sortie des urgences ou de l’hôpital :

– ce dispositif, déjà expérimenté dans 5 régions et 1 département, a fait ses preuves dans la prise en charge de plus de 6000 patients.

Ainsi, dès sa sortie de l’hôpital, le patient reçoit le numéro de téléphone de l’opérateur VigilanS, à contacter en cas de besoin.

  Surtout, à chaque appel, un compte-rendu est adressé aux correspondants médicaux.

Je souhaite généraliser ce dispositif dans les 2 ans - et ce sur l’ensemble du territoire, car nous ne devons jamais laisser une personne en détresse sans réponse.

Toute personne en raptus suicidaire, en décompensation de pathologie psychique ou en grande détresse psychique, doit pouvoir :

  être mis en relation, à toute heure du jour et de la nuit, avec un professionnel de santé mentale – et ce, afin :
o d’évaluer le risque et prévoir une intervention adaptée à la demande, puis être rappelé pour un suivi de long-terme ;

o ou de renvoyer sa demande vers les associations que nous connaissons tous, et qui nous sont d’un grand secours.

Une mission des inspections générales est actuellement engagée, pour étudier la mise en place d’un numéro unique :

  je souhaite qu’elles intègrent à leur réflexion ce besoin propre à la psychiatrie et à la santé mentale.
 - -
Mesdames, Messieurs,

Toutes ces orientations ne sont pas exhaustives, loin s’en faut : nous aurons l’occasion d’en reparler très prochainement.

Lucien Bonnafé, à qui nous devons la sectorisation psychiatrique, parlait d’or lorsqu’il disait, je le cite : «  On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses fous ».

  Cet impératif, nous devons le faire nôtre.

La psychiatrie ne sera plus le parent pauvre : soyez-en assurés, j’en fais une priorité de santé.

Pour preuve de ma détermination, j’ai décidé d’assurer personnellement la présidence d’une instance nationale : le comité stratégique de psychiatrie et de santé mentale.

  Je réunirai ce comité une fois par an, afin de faire le point sur l’ensemble des actions engagées.

Ce plan d’actions a pour objet de, changer le regard porté sur les maladies de l’âme, sur nos patients, trop souvent stigmatisés.

C’est pourquoi vous, professionnels de santé, vous êtes les acteurs incontournables, à la fois :

  de l’exigence qui est la vôtre, qui est la nôtre, d’une médecine de qualité du corps et de l’âme ;

Ces thèmes que vous avez abordé, que vous aborderez aujourd’hui, renforcent ma confiance dans la mise en œuvre de ce plan :

– ce qui nécessitera, naturellement, coordination et concertation.

Je vous remercie.

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