Discours d’Agnès BUZYN - concertation régionale sur le grand âge et l’autonomie

A Lille - Le 17 décembre 2018
Seul le prononcé fait foi


Mesdames et messieurs,

Vous vous posez la question de savoir « comment mieux travailler ensemble ? », eh bien je crois que le caractère collectif du travail est déjà, en soi, un gage de qualité et je vous remercie toutes et tous de prendre part à ce forum régional.

Le pari du collectif, c’est celui que j’ai fait, avec l’organisation de ces forums régionaux et le lancement d’une consultation nationale.

Nous ne pouvons l’ignorer, avec l’actualité récente, qui a vu éclater une détresse déjà ancienne dans notre pays : la concertation, plus que jamais, est une nécessité, la consolidation de l’Etat providence du XXIème siècle, ce qui nous permettra de mieux répondre aux aléas de la vie et aux nouveaux risques sociaux, est tout aussi impérative.

L’esprit girondin qui m’anime depuis le premier jour au Ministère des solidarités et de la santé n’est pas un principe abstrait : le travail que nous menons ensemble prouve qu’il est une pratique concrète.

L’Etat est au rendez-vous, aujourd’hui, comme il le sera demain, sur tous les territoires, pour relever les défis nombreux auxquels nous faisons face.

Parmi ces défis, le grand âge et la perte d’autonomie doivent tous nous mobiliser.

Ils concernent tous les Français et c’est un sujet du quotidien, que ce soit pour les parents qui élèvent un enfant en situation de handicap ou pour tous ceux qui doivent s’occuper de leur conjoint ou de leurs parents âgés.

Le Président de la République a annoncé pour l’année 2019 l’adoption d’une loi sur la prise en charge des personnes âgées.

Ce sujet ne peut pas se traiter en chambre et j’ai donc lancé une consultation citoyenne sur le sujet afin que tout le monde puisse s’exprimer et donner son point de vue.

Ce sujet est au cœur d’une expérience vécue par tellement de familles qu’il était indispensable de recueillir des témoignages, des récits mais aussi des propositions concrètes tenant compte de la grande complexité des situations.

Je retiens de ce grand élan de participation non seulement un sens civique remarquable mais aussi une très grande dignité et je ne pouvais pas ne pas le mentionner.

La consultation nationale en ligne a révélé l’attachement profond que nous avons toutes et tous à la solidarité.

Si la solidarité est une valeur morale, qui fonde peut-être toutes les autres, elle est aussi un droit.

Elle est un droit que l’on peut recevoir, mais il nous faut aussi protéger par le droit ceux qui la mettent en œuvre.

C’est le cas des aidants familiaux et croyez bien que le Gouvernement et le Parlement ont le même objectif de répondre aux besoins des aidants.

Sans compter leur temps, sans jamais ménager leur peine, ils oeuvrent quotidiennement à aider, soulager, accompagner des proches fragiles et dans le besoin.

Ils sont 6 à 11 millions, aidants de personnes âgées, handicapées, de malades chroniques ou d’enfants. Dans les Hauts-de-France, nous comptons pas moins de 315.000 aidant familiaux, qu’il faut accompagner et soutenir.

Ces chiffres impressionnent peut-être mais ils obligent surtout à agir.

C’est le sens des travaux que nous menons actuellement, travaux qui participent de la même exigence d’une solidarité concrète, soucieuse des grandes mutations de notre temps.

Je voudrais dire un mot aussi de la consultation nationale sur le grand âge et l’autonomie puisque, sans grandiloquence, je crois que la Nation entière s’est mobilisée à cet appel.

Notre ambition était de mobiliser largement les Français autour d’une question simple qui nous concerne tous : « comment mieux prendre soin de nos aînés ? »

Pour ma part, je retiens plusieurs choses de la consultation :

D’abord, les Français sont préoccupés par le sujet et nous avons des idées à faire valoir.

Les chiffres sont éloquents : 414 000 participants, 18 000 propositions et 1,7 million de votes.

Et ces propositions sont venues de la France entière, avec 89 % des proposants issus des territoires, et 11 % de l’Ile-de-France.

Nos aînés se sont largement associés à cette démarche : les personnes âgées de 65 ans et plus représentent près d’un tiers des participants.

Les 15-24 ans sont également très attentifs à ce sujet, et cela bat en brèche l’idée que les jeunes ne seraient pas impliqués dans la vie de la Cité. Ils représentent un quart des participants et je m’en réjouis.

C’est essentiel car nous le savons, c’est le regard de toute notre société qui doit changer sur ces questions.

Les Français ont exprimé des attentes fortes et nous allons en tenir compte dans les travaux que nous conduisons aujourd’hui pour améliorer les prises en charge.

Que l’on s’entende bien : on ne construira pas cette loi sans les Français, ni bien sûr sans celles et ceux que cela concerne, à savoir les personnes âgées.

Quatre grandes priorités des Français se dégagent des résultats de la consultation :

1/ Tout d’abord, les conditions de travail des professionnels et les conditions de vie des aidants.

Notre première priorité sera d’ailleurs de redonner une plus forte attractivité aux emplois auprès des personnes âgées, que ce soit en établissement ou à domicile.

Des leviers d’action de différente nature sont en réflexion à cet effet : conditions de travail, formation, perspectives d’évolution professionnelle, prévention de l’absentéisme, etc.

Les Français réaffirment aussi leur attachement à leur domicile. La maison est le lieu où les Français veulent vivre leurs vieux jours et aussi y mourir. C’est très clairement exprimé.

2/ Cela rejoint la 2e priorité exprimée par la consultation : la qualité des lieux de vie

Les citoyens proposent des actions très concrètes comme l’adaptation des logements, l’équipement en solutions innovantes et le développement d’une meilleure offre de services à domicile.

Ils se montrent préoccupés par la qualité de l’accueil et dessinent plusieurs solutions en établissements ou consistant en la mise en place de lieux de vie alternatifs permettant la cohabitation intergénérationnelle.

Doivent ainsi s’ouvrir de nouvelles formes d’hébergement temporaires ou permanentes qui répondent à des situations personnelles très variées.

Une priorité sera de redonner, par une action forte sur la qualité, confiance à la population dans l’ensemble du système qui prend en charge les personnes très âgées, à domicile, en établissements ou dans des structures intermédiaires.

3/ En écho à cette attente légitime de qualité, le financement de la perte d’autonomie est une préoccupation majeure pour les familles.

Ce sujet sera un point majeur de la future loi et c’est aussi le point le plus difficile car cela suppose de définir ce que nous souhaitons financer en priorité et comment nous souhaitons le financer.

Il y a là un enjeu majeur et des moyens supplémentaires dans le cadre d’un financement public seront bien sûr nécessaires.

La sécurité sociale est le reflet de notre société, elle accompagne son évolution. Elle est ce cadre protecteur, équitable, stable, indépendant pour l’essentiel des statuts professionnels, au sein duquel chacun organise son parcours de vie.

C’est d’ailleurs grâce à la sécurité sociale, que demain nous pourrons mieux accompagner les proches-aidants, mieux prendre en charge le risque associé à la prévention de la perte d’autonomie chez la personne âgée et soulager le reste à charge des personnes concernées et de leurs familles.

4 / Enfin, les Français s’inquiètent de l’adaptation de notre système de santé aux problèmes du grand âge.

Le plan Ma santé 2022 prend en compte l’impact du vieillissement de la population sur le système de santé, s’agissant des maladies aigües comme des maladies chroniques.

Un effort sera mené pour mieux structurer l’offre de soins de proximité, autour de la médecine de ville et des hôpitaux de proximité, en décloisonnant la prise en charge des personnes âgées en mettant fin au partage artificiel entre la santé et le médico-social.

La consultation se poursuivra jusque fin janvier et des propositions de court et de moyen terme seront formulées dans la perspective d’une réforme ambitieuse dont découlera un projet de loi, comme le Président de la République l’a annoncé.

Vous le voyez, la concertation est ma seule méthode de travail, je crois sincèrement à ses vertus et j’ai l’intime conviction que c’est le seul moyen de « coller » aux réalités de chaque territoire et au quotidien de tous les Français.

Ici dans les Hauts-de-France, la population est l’une des plus jeunes de France et l’on y observe une part de personnes âgées de plus de 75 ans légèrement inférieure au niveau national.

Cependant, et c’est un enjeu de taille, ses indicateurs de santé dégradés entraînent une survenue de la perte d’autonomie à un âge plus précoce et une perte d’autonomie plus lourde que la moyenne nationale.

La part de personnes vivant seules à domicile est également plus importante.

Les acteurs locaux ont pleinement pris en compte ces données et je pense en particulier à l’ARS, qui a appuyé, avec les collectivités territoriales partenaires, le développement de réponses de proximité, le soutien des aidants par la diversification des offres de répit et le renforcement de la coordination des acteurs.

L’ARS met également en place une politique innovante avec des expérimentations telles que le parcours santé des aînés, des dispositifs de relayage, des SSIAD dédiés à la prévention des chutes ou encore des bilans de santé des aidants.

Ces expériences doivent nous inspirer puisqu’elles sont autant de réponses très concrètes à des situations dont chacun sait qu’elles vont se multiplier pour devenir un véritable enjeu de société et de santé publique.

Je le sais, au cours de vos échanges, plusieurs sujets ont émergé et ils ne peuvent être ignorés :

  C’est le cas de la pénibilité des métiers liés à la prise en charge des personnes âgées et de leur perte d’attractivité, particulièrement en ce qui concerne les aides-soignantes.

  C’est aussi la situation des Ehpad suite à l’émotion provoquée par des reportages de l’automne 2017, qui ont montré l’urgence à prendre des mesures concrètes et visibles.

La question du reste à charge en Ehpad et plus généralement du coût de l’hébergement est aussi revenue de manière récurrente sur le devant de la scène.

Une mission IGAS qui aboutira fin janvier se penche actuellement sur le sujet de l’aide sociale à l’hébergement qui permet de venir en aide aux personnes qui ne peuvent payer l’hébergement en Ehpad.
Des groupes de travail ont émis l’idée d’un « bouclier dépendance » permettant d’augmenter l’aide publique lorsque le séjour en Ehpad dépasse une certaine durée.

Je l’ai déjà évoqué, mais la question de l’offre de services à domicile est primordiale, quand on sait que les Français aspirent à la liberté de choix.

Cette question de l’offre de services est celle de la coordination des intervenants, aujourd’hui cloisonnés entre les services d’aide à domicile financées via l’APA et les services de soins infirmiers à domicile financés par l’assurance maladie.

Enfin, il semble impératif d’opérer une clarification de la gouvernance : les acteurs de la concertation convergent sur le constat d’une gouvernance trop complexe, peu lisible, avec de nombreuses compétences exercées en doublon entre l’Etat et les Conseils départementaux.

Je vous redis ma joie d’être à vos côtés, ici à Lille pour ce forum régional, et je vous remercie toutes et tous pour votre engagement et pour la mission que vous relevez. Je salue tout particulièrement le pilote de la grande concertation grand âge et autonomie, Dominique Libault et toute son équipe. Sa connaissance intime des enjeux et des contraintes est extrêmement précieuse.

La mission qui nous réunit ce jour est immense mais cette mission a du sens : au service des autres, elle est aussi, sûrement, la plus belle qui soit.

Je vous remercie

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