Discours d’Agnès Buzyn - Visite de l’EHESP Rennes, le 4 janvier 2018

seul le prononcé fait foi

Monsieur le directeur de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP), cher Laurent,

Monsieur le Préfet d’Ille-et-Vilaine, cher Christophe Mirmand,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Monsieur le directeur général de l’ARS Bretagne, cher Olivier de Cadeville,

Madame la directrice générale du CHU de Rennes, chère Véronique Anatole-Touzet,

Monsieur le président de l’Université Rennes 1, cher David Alis,

Chers nouveaux élèves de la fonction publique hospitalière (FPH) et de la fonction publique d’Etat (FPE),

Mes meilleurs vœux à vous toutes et vous tous : j’espère que 2018 répondra à toutes vos aspirations légitimes, sur le plan professionnel, personnel – et médical, cela va sans dire.

1. Comme il est difficile de caractériser l’année qui vient de s’écouler, tant les changements qu’a connus notre pays sont importants, pour ne pas dire inédits.

Peut-être l’amphithéâtre Simone Veil, qui nous réunit aujourd’hui, nous souffle-t-il la réponse.
  Il porte le nom d’une femme d’exception, qui m’inspire chaque jour dans mes fonctions.

Oui, 2017 aura été l’année de la femme, de la rupture d’un silence honteux sur des pratiques inacceptables.

Parmi les souhaits que je formule pour cette nouvelle année, j’espère :

  qu’elle promouvra avec plus de vigueur la place de la femme,

  que vous serez encore plus nombreuses à entrer dans cette Ecole prestigieuse.

2. C’est un grand plaisir, toujours renouvelé, de venir entre ces murs prestigieux de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP).

Vous l’avez rappelé, cher Laurent, j’ai déjà eu la chance de venir visiter votre école en octobre 2016, alors que vous fêtiez vos 10 ans.

2.1. Vos missions, inutile de le rappeler, sont connues de tous. C’est avec talent que vous :

  assurez la formation des personnes dans leurs fonctions de direction, de gestion, d’inspection ou de contrôle dans les domaines sanitaires, sociaux ou médico-sociaux ;

  que vous dispensez un enseignement supérieur en matière de santé publique ;

  que vous contribuez aux activités de recherche en santé publique ;

  et que vous développez des relations internationales dans vos domaines de compétence.

2.2. Pourtant, ces fonctions ne rendent pas compte de la manière dont vous les remplissiez, proprement remarquable.

Ce service de la santé publique, vous l’assurez à la fois dans la formation et dans la recherche, et ce au carrefour de plusieurs champs d’étude.

J’aime votre expression, cher Laurent, d’« OANI », d’objet administratif non identifié : vous composez avec vos identités académique et professionnelle, et d’une façon toute originale – et disons toute rennoise.

3. Vous avez dit, cher Laurent, qu’en aucun cas vous ne formiez de futurs directeurs au cœur froid.

J’aimerais insister sur ce point, qui me paraît important.

En effet, votre Ecole ne doit pas seulement son prestige aux fonctions qu’elle assure, ni à la façon dont elle les assure, ni au charme de la ville de Rennes.

3.1. Elle le doit, au premier chef, à la qualité exceptionnelle de ses élèves, de vous tous ici présents.

Vous avez réussi l’un des concours les plus prestigieux de notre pays, et demain vous serez les cadres, l’avenir de notre système de santé.

Il n’est pas de plus beau privilège de servir sa nation, et ce privilège revient en premier lieu à ce mot, galvaudé, et trop rabroué, d’élite.

Pour autant, vous le savez, rejoindre l’élite de notre système de santé, s’accompagne aussi de responsabilités – et je pense ici, en particulier, au management.

L’anglicisme n’est pas dans mes habitudes, mais celui-ci me paraît approprié, tant il recouvre des notions variées comme la gestion, l’administration, ou encore la direction.
Or, de plus en plus, les équipes comme les patients demandent de la bienveillance, de l’écoute, de l’empathie : toutes ces valeurs qui trouvent leurs racines dans notre tradition, séculaire, du médecin humaniste.

Ceci, naturellement, vous le savez déjà : choisir le secteur public de la santé est rarement le fruit du hasard.

Quelles que soient les motivations de chacune, de chacun d’entre vous, je crois – sans trop me tromper – y déceler :

  le goût du collectif,

  une certaine fibre sociale,

  l’attachement à des valeurs humanistes – et, osons le mot, républicaines.

3.2. Partager ces qualités est une chose ; mais savoir les appliquer au quotidien, sous la pression tant des équipes que des contraintes matérielles, humaines et budgétaires, est une toute autre affaire.

Vouloir intégrer une équipe dirigeante témoigne d’autres ambitions que la formation à l’Ecole doit préciser, et concrétiser :

  je veux parler ainsi de ces fameux savoirs, savoir-faire et savoir-être chers aux directeurs des ressources humaines ! Dans la conjoncture actuelle, ces savoirs se révèlent essentiels.

Vous connaissez sans doute ces mots célèbres du président américain Théodore Roosevelt, qui nous invite à l’engagement et à la responsabilisation, je le cite : « Le meilleur manager est celui qui sait trouver les talents pour faire les choses, et qui sait aussi réfréner son envie de s’en mêler pendant qu’ils les font ».
Notre système de santé et de protection sociale connaît de profondes et rapides mutations, c’est le moins que l’on puisse dire, qu’il s’agisse :

  de la transition numérique,

  de la pression environnementale,

  des innovations technologiques,

  ou encore des contraintes budgétaires.

Toutes ces nouvelles modalités nous obligent à réviser nos jugements, notre organisation au quotidien.

3.3. Je sais qu’il n’est pas toujours facile d’inspirer la confiance à ses équipes, ainsi que du plaisir et du bien-être dans leur travail

– moi-même, en tant que médecin, j’ai pu connaître des moments difficiles, à l’hôpital.

Pourtant, de plus en plus de professionnels réclament ce besoin, de plus en plus vivement.

Avant de partir pour la Chine, lundi, avec le président de la République, j’ai profité des fêtes pour me replonger dans Confucius, qui nous rappelle, je le cite, que :

  « l’homme supérieur est celui qui d’abord met ses paroles en pratique et ensuite parle conformément à ses actions ».

Cet éducateur nous dit, aussi, je le cite encore :

  « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie ».

4. C’est aussi à ces enjeux de management que doit répondre la stratégie nationale de santé (SNS), qui fixe pour 5 ans les priorités du gouvernement en la matière.

4.1. Si elle doit donner de la visibilité et de la cohérence à l’action collective de tous les ministères, elle n’a pas pour autant vocation à résumer à elle seule toutes nos politiques.

Bien plutôt, elle doit donner un cap, à moyen-terme, en fixant des priorités, pour mieux piloter les plus grands chantiers en matière de santé.

Cette stratégie trouve sa source dans un diagnostic des forces et des faiblesses de l’état de santé de nos concitoyens.

Nous avons, cela est sûr, de précieux atouts : je pense au niveau de notre espérance de vie, ou encore au haut niveau de compétence de nos professionnels – vous en serez, très vite, de parfaits exemples.

Les défis sont cependant nombreux, comme la multiplication des maladies chroniques, ou la montée des inégalités sociales et territoriales.

J’ai retenu de ce rapport 3 pistes pour l’avenir, que la stratégie devra déployer :

(i) Tout d’abord, faire de la santé un objectif de toutes nos politiques, qu’elles soient éducatives, environnementales, agricoles, sportives ou judiciaires.

La santé n’est pas l’affaire du seul ministère de la santé : elle nous concerne tous.

C’est précisément pour cette raison que la stratégie nationale de santé (SNS) mobilise l’ensemble du Gouvernement.

(ii) Ensuite, ne plus réfléchir en silos, par spécialité, par pathologie ; mais, au contraire, penser de façon plus globale, en agissant, par la prévention, sur les déterminants de santé, sur tous ces comportements et environnements de vie.

Le système de santé lui-même y joue un rôle : sa qualité exerce une incidence directe sur la santé de nos concitoyens.

(iii) Enfin, sortir du modèle du « tout-hôpital », cette spécificité française qui pèse à la fois sur la qualité des prises en charge et sur l’efficacité de notre système.

Nous devons plutôt renforcer la place des soins de ville, pour mieux concilier proximité, qualité et pertinence des soins, en vue d’une seule personne : le patient.

4.2. C’est à la lumière de ces 3 grandes orientations que les 4 axes de la stratégie ont été construits, et ce grâce à la précieuse contribution de votre Ecole.

(i) La prévention et la promotion de la santé, tout au long de la vie et dans tous les milieux.

C’est une ambition forte portée par le Premier ministre et le président de la République.

Qu’il s’agisse de nutrition ou de sexualité, nous devons reconnaitre ce temps de l’éducation à la santé.

La stratégie porte cette priorité, avec une attention particulière pour les publics précaires et les enfants.

A cet égard, je me réjouis que votre établissement, cher Laurent, devienne le 31 mai le premier campus sans tabac en France. Merci de montrer le chemin.

(ii) La lutte contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé.

Nous devons passer d’un système en silo à un système centré sur les besoins du patient, ou plutôt, des patients, en tenant compte de leurs spécificités, avec des parcours organisés au niveau du territoire.

Le plan d’accès aux soins que j’ai présenté en octobre dernier, avec le Premier ministre, détaillait déjà les mesures choisies.

(iii) Une meilleure pertinence et qualité des soins. Nous devons passer d’une tarification à l’activité (T2A) à une tarification au parcours, en rémunérant la qualité et la pertinence des soins et des actes.

La formation des professionnels, votre formation, sera un levier indispensable pour développer cette culture et ce souci permanent de la qualité.

Vous le comprenez, c’est une orientation cruciale pour renforcer la pérennité de notre système de santé, la soutenabilité des dépenses qui lui sont consacrées, et la confiance des Français dans notre modèle social.

(iv) L’innovation, enfin, sous toutes ses formes, que nous devons accélérer et mettre à disposition de tous, qu’elle soit organisationnelle, médicale, technologique ou numérique.

Nous devons nous donner les moyens, tous les moyens, collectivement, de repérer et de sélectionner très tôt les projets à fort potentiel. Des crédits spécifiques y seront dédiés.

Nous devons aussi mieux associer les patients, les usagers et les professionnels qui sont les premiers concernés par ces évolutions, par exemple en matière de télémédecine ou d’objets connectés.

Enfin, nous garantirons que l’innovation réponde aux besoins prioritaires en santé que nous aurons identifiés.

Enfin, la consultation publique, qui s’est tenue en novembre, a également permis de nourrir la stratégie.

4.3. 2018 sera donc l’année où la stratégie pourra jouer tout son rôle, et renforcer la cohérence de nos politiques de santé.

  Dès 2018, elle sera mise en œuvre dans les territoires via les projets régionaux de santé (PRS), définis par les Agences régionales de santé (ARS) dans le courant du premier semestre.

  Les priorités de la stratégie trouveront là une application concrète, adaptée à chaque territoire.

Au niveau national, la stratégie sera traduite en mesures concrètes dans le cadre des plans et programmes que nous allons construire.

  En matière de prévention notamment, un plan national de santé publique donnera de la cohérence et de la lisibilité aux très nombreux plans existants

– l’objectif sera d’en simplifier le suivi et d’en assurer le financement.

Voilà en quelques mots, chers élèves, ce qui nous attend pour les prochains mois pour appliquer la stratégie.

  C’est un exercice important et fécond, car il met l’accent sur une vision de moyen long terme, et non pas sur l’instantané et le détail technique.

  Cela nous permet de prendre du recul pour redonner de l’impulsion et du souffle à nos politiques de santé, une vision.

4.4. Cependant, la stratégie n’a d’intérêt que si des professionnels sont actifs au niveau local pour la mettre en œuvre, au plus près des populations.

Elle constitue pour eux des repères, des orientations communes, des axes de travail pluriannuel. Surtout, c’est dans le quotidien et sur le terrain que le sens de l’action doit être trouvé, partagé, et préservé.

Vous devrez faire preuve d’un grand sens des responsabilités, d’autonomie, de réactivité, de compétences générales et techniques : en matière de ressources humaines, de budget, de politique des soins, ou encore de logistique.

Mais aujourd’hui, en tant que gestionnaire d’équipes, de projets, d’organisations, vous devrez conduire et accompagner le changement, et ce tout en préservant au mieux la qualité de vie au travail (QVT).

5. Or, vous en conviendrez, cette mission est difficile, pour ne pas dire impossible, sans préparation.

C’est pourquoi votre l’Ecole présente un formidable avantage : alterner cours, conférences, rencontres professionnelles, et surtout stages de terrain.

J’ai toute confiance en vous pour en tirer le plus grand bénéfice, pour acquérir ces nouvelles compétences.

  Les allers-retours entre principes théoriques et action pratique, le compagnonnage entre professionnels, la confrontation des expériences de vie, et pas uniquement professionnelles, doivent vous aider à apprivoiser le changement, ensemble.

  Le patient, lui aussi, a beaucoup à nous apprendre : l’hôpital est le seul établissement public où les personnes malades ont leurs maux, m.a.u.x., à dire.
Ces missions seront parfois difficiles mais toujours exaltantes et humainement enrichissantes.

  Je sais que vous y puiserez un accomplissement professionnel et personnel.

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Mesdames, messieurs,

Chers élèves,

Je sais pouvoir compter sur vous pour m’épauler afin de relever les défis, nombreux et complexes, qui se présentent à nous.

J’ai parfaitement conscience que vous êtes, que vous serez en première ligne, dans vos établissements de santé, pour concilier efficacité et qualité, innovation et continuité.

  Si vous êtes des cadres, vous êtes avant tout des serviteurs à l’Etat, et avez à cœur les fameuses lois de Rolland : égalité, neutralité et continuité du service public.

Ce qui me rend confiante, c’est de vous voir si nombreux, aujourd’hui : 350 élèves, 350 futurs cadres de la nation.

Votre jeunesse est sans doute, paradoxalement, le plus puissant de vos atouts.

  La difficulté, en effet, n’est pas tant de comprendre les idées nouvelles, que d’échapper aux idées anciennes.

  Si posséder sa jeunesse fait, trop souvent, ignorer la jeunesse, n’oubliez pas qu’elle aussi, à sa façon, aussi un art, celle de se révolter contre les obstacles à un système de santé plus juste et plus efficace.

  La jeunesse est l’âge du possible : rien ne doit être trop difficile pour vous, vous devez être capable de toutes les abnégations.
  J’aime ces mots de Tristan Bernard : « L’inexpérience est ce qui permet à la jeunesse d’accomplir ce que la vieillesse sait impossible. » Puissiez-vous les méditer cette année durant.

Votre diversité, enfin, constitue aussi un bel atout : elle atteste de toute la richesse, de toute la finesse de vos expertises, et de notre système.

Je compte sur vous pour toujours faire rimer santé avec solidarité, et qu’aucun de nos concitoyens ne soit délaissé.

Je vous remercie.

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