Discours de Madame Agnès BUZYN - Bioéthique Sénat le 21 janvier 2020

Discours d’Agnès Buzyn au Sénat le mardi 21 janvier 2020 : Présentation du projet de loi bioéthique.

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Mesdames les Ministres,
Monsieur le Président de la commission spéciale,
Mesdames et Messieurs les rapporteurs,
Mesdames, messieurs les sénateurs,

La séquence qui s’ouvre aujourd’hui revêt une dimension singulière par les thèmes que nous allons aborder.

Chacun mesure l’importance des échanges que nous allons avoir et c’est avec beaucoup d’humilité que nous entamons l’examen de ce texte.

Ne nous y trompons pas :

Les projets de loi relatifs à la bioéthique, s’ils peuvent sembler techniques, voire abstraits, recouvrent des enjeux très concrets, qui touchent au plus profond de l’intimité des Français : la famille, l’enfance, la maladie, et tout ce qui compose une vie dans ses joies ou dans ses espoirs.

C’est donc à une réflexion profonde que vous êtes invités, que nous sommes invités.

Une réflexion non pas sur des « problèmes à résoudre » ou sur des « défis à relever », mais bien sur la société dans laquelle nous voulons vivre et la société que nous voulons proposer aux générations futures.

La France prend rendez-vous à intervalles réguliers avec les grandes questions de notre temps, avec le champ des possibles ouvert par la science et la recherche biomédicale.

Ce champ des possibles est vaste, mais nos principes sont solides : ces principes sont autant de jalons et de limites à ne pas dépasser.

Ces grands principes, ils sont au cœur du projet de loi : la dignité de la personne humaine, l’autonomie de chacun et la solidarité de tous.

Ces grands principes, ce ne sont pas des verrous, ce sont des balises qui nous guident et qui nous protègent.

Nos choix reflèteront nécessairement un certain état de la science, de la société, des mentalités et, évidemment, de l’éthique.

Ces choix sont ceux de la confrontation entre le possible et le souhaitable, entre des parcours individuels parfois douloureux et des conséquences collectives acceptables.

Ces choix, nous les ferons ensemble, parce que c’est au Parlement et nulle part ailleurs qu’ils doivent être faits.

Dans la préface du Principe responsabilité, le philosophe Hans Jonas nous alertait déjà et je le cite :

« Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l’économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui ».

Nous ne sommes pas réunis pour autre chose.

Les thèmes qui vont nous mobiliser sont exigeants, ils sont passionnants, et ils s’accommodent mal des raccourcis et des caricatures.

Le projet de loi que je vous présente aux côtés de Nicole BELLOUBET, Frédérique VIDAL et Adrien TAQUET a été largement nourri par vos travaux parlementaires.

Le projet de loi a aussi été enrichi à l’Assemblée nationale et par les travaux de la commission spéciale de votre Assemblée. Il le sera encore par les débats qui s’ouvrent aujourd’hui.

Ce long cheminement n’a rien d’anodin. Il était et reste nécessaire.

La méthode retenue depuis plusieurs mois a été, je crois, à la hauteur de l’enjeu, c’est-à-dire à la hauteur de ce que nous sommes, ni plus ni moins : des hommes et des femmes, avec leur histoire personnelle, leur sensibilité et leur sens du bien commun, devant des choix qui vont structurer la société française de demain.

C’est dans ce même esprit que nous allons avancer dès aujourd’hui, pour adapter notre droit non pas à une société post-moderne tantôt espérée, tantôt redoutée, souvent fantasmée, mais à la société telle qu’elle est ici et maintenant et surtout aux Français tels qu’ils sont ici et maintenant, dans leur très grande diversité.

Accéder à des techniques médicales et accorder de nouveaux droits, ce n’est pas déréguler, c’est au contraire permettre à la République de tenir compte des avancées scientifiques et médicales et de s’adapter à la vie des Français.

J’aurai l’occasion de revenir devant vous à plusieurs reprises pour présenter certaines dispositions et débattre ensemble de leur contenu.

Le projet de loi travaillé par la commission spéciale porte toujours les avancées que le gouvernement a proposées en matière de procréation :

 D’une part, l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées ;
 Et d’autre part, l’autorisation de l’autoconservation de gamètes.

Ces mesures majeures ont été approuvées par les sénateurs et je m’en réjouis. Ces nouvelles dispositions doivent néanmoins être parfaitement encadrées et nous y veillerons avec la plus grande rigueur.

Ces mesures ouvrent des droits.

Ces droits sont effectifs chez la plupart de nos voisins européens : ils ne sont contraires à aucun principe bioéthique et ils peuvent être exercés dans un cadre protecteur, en particulier pour l’enfant à naître.

L’ouverture de ces droits, c’est l’ouverture sur un avenir que nous regardons avec confiance.

Et soyons lucides : les familles monoparentales et homoparentales existent déjà.

Elles sont issues de projets souvent très longs, avec des enfants qui sont ardemment désirés et des parents, nul ne s’en étonnera, qui sont des parents, tout simplement.

Et je veux couper court à une idée fausse. Il n’y a pas, il n’y jamais eu et il n’y aura jamais de « droit à l’enfant ».

Tout projet parental formulé dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation est déjà, dans le droit en vigueur, soumis au respect de l’intérêt de l’enfant à naître et il continuera de l’être.

Reconnaître la famille dans ce qu’elle a de divers, de pluriel et de riche, c’est ce que nous vous proposons.

La commission spéciale a également fait sien notre souhait de permettre aux personnes nées de PMA avec don de gamètes de connaître l’identité du donneur.

Nous savons que l’anonymat du donneur a bien souvent pour corollaire le silence des parents et les questions sans réponse de l’enfant.

Permettre à l’enfant d’accéder à sa majorité à des informations relatives au donneur, c’est lui permettre de se construire comme individu et de se pacifier avec son histoire et donc avec lui-même.

Un donneur n’est pas un parent, ça n’est pas sa vocation, ça n’est pas le sens de son geste, mais il est une pièce de son identité que l’on ne peut dérober à l’enfant, il est un chaînon qui ne doit pas manquer à l’appel d’une existence.

Donner accès aux origines dans cette loi, c’est aussi sortir le don du secret, pour le reconnaître dans ce qu’il a de profondément humain, altruiste et solidaire.

Ce faisant, nous n’affirmerons qu’une seule chose : la force des institutions, qui encadrent et qui protègent chacun.

Nous ne ferons qu’un seul choix : celui de la responsabilité individuelle et collective.

Le projet que nous examinons comprend aussi de nouvelles mesures en matière de génétique, auxquelles je suis fondamentalement opposée.

Le séquençage à haut et très haut débit de l’ADN a révolutionné le domaine de la génétique.

Le projet de loi initial proposait des mesures concrètes pour accompagner l’augmentation des indications et des usages des examens génétiques réalisés dans le cadre du soin ou de la recherche.

Mais la facilité et la rapidité d’analyse du génome permettent aisément de dépasser ce cadre.

Toutes les mesures dont nous allons parler : dépistage génétique en population, dépistage préconceptionnel, dépistage préimplantatoire, dépistage génétique néonatal, sont en effet intimement liées.

Ces mesures peuvent paraitre positives mais derrière elles que cherchons-nous à prévenir ?

Le dépistage en population vise à connaître les maladies auxquelles on serait prédisposé.

Que fait-on de l’absence de preuve de l’utilité médicale d’une telle démarche ?

Que fera –t-on de ces résultats, que l’on ne sait pas interpréter et qui amèneront la personne à se méprendre sur son état de santé, présent comme futur ?

Le dépistage préconceptionnel ouvert à tout couple en âge de procréer vise à identifier leurs risques d’avoir un enfant atteint de certaines maladies.

Mais comment définirons-nous ces maladies ? Au regard de la mortalité ? ou encore du handicap ?

Par ailleurs l’expression d’une mutation est variable et l’on ne sait pas le prédire à ce jour.

Il s’agit donc d’éviter la naissance d’enfants sur la base d’une anomalie génétique dont on ne peut dire comment elle s’exprimera.

Que penser de notre modèle de société inclusive si on ne veut plus prendre le risque de la différence ? Quel impact sur les couples qui feront les tests ou au contraire qui ne les feront pas ? Quel impact sur la diversité génétique de notre espèce ?

On peut tirer ce fil pour toutes ces mesures, mais une chose est certaine : le généticien ne doit pas se substituer à la Pythie grecque, que l’on interrogeait pour connaître son avenir, et des examens médicaux ne sauraient devenir des oracles, parce que la vie n’est jamais réductible à une prédiction, aussi scientifique soit-elle.

C’est pourquoi, nous sommes convaincus que le temps est à la recherche pour mieux comprendre l’impact des différentes mutations et leurs conséquences en termes de prévention, de soins et de société.

Dans le champ du dépistage préimplantatoire des aneuploïdies qui sont une anomalie du nombre de chromosomes, comme les trisomies, l’objectif est louable.

Il est d’améliorer l’efficacité des fécondations in vitro en évitant de transférer des embryons non viables et donc des fausses couches.

Mais, sur plan scientifique et médical, l’efficacité de la technique est discutée et il est indispensable de poursuivre les recherches avant de modifier la loi.

D’ailleurs, un projet de recherche a été sélectionné et sera financé dès 2020 dans le cadre du Programme hospitalier de recherche clinique.

Au-delà de l’objectif d’amélioration de la PMA, il ne faut pas occulter du débat que l’enjeu, une fois la technique autorisée, sera également la réimplantation ou non d’embryons viables mais présentant des anomalies chromosomiques.

Pour moi les risques sont réels et les bénéfices incertains.

Ainsi, si nous soutenons l’essor de la médecine génomique dans un cadre médical et sécurisé, le Gouvernement n’est pas favorable à une libéralisation de l’accès aux tests génétiques.

Je vous alerte enfin sur les tests généalogiques, dits « récréatifs ».

Les tests généalogiques exposent à une multitude de risques peu connus mais qui constituent une menace sérieuse pour la vie privée des consommateurs.

Si l’objectif est de rechercher d’éventuelles proximités de parenté, cela a un impact sur d’autres membres de la famille qui n’y ont donc pas consenti.

La démarche des sociétés qui proposent ces tests n’est pas philanthropique, elle est d’abord commerciale et la généalogie est le plus souvent un cheval de Troie qui ouvre la voie aux dépistages génétiques à visée médicale dont je parlais à l’instant.

Face à vous, je serai déterminée. Ces sujets ne laissent pas indifférents, ces sujets nous obligent à un débat parlementaire exigeant, serein et apaisé.

Nous n’avons pas fait le choix d’une procédure accélérée mais bien de laisser à chacun, dans chacune des chambres, le temps de débattre et de modifier le texte.

De la même manière, le Gouvernement prend acte des modifications qui sont intervenues en commission spéciale. Certaines posent des questions techniques, d’autres plus politiques.

Nous avons souhaité déposer des amendements sur les seuls éléments que nous considérons comme des lignes rouges à ne pas franchir pour garantir l’équilibre de ce projet de loi.

Monsieur le Président,
Mesdames, messieurs les sénateurs,

Un grand projet collectif nous attend : le projet d’une société en phase avec elle-même, d’une société qui reconnaît des droits nouveaux sans rien céder aux principes qui nous lient les uns aux autres.

Dans les prochaines semaines, vous serez des artisans et des garants.

Les artisans d’un droit qui s’adapte à la France et aux Français du XXIe siècle ; les garants d’un projet qui protège et qui émancipe.

C’est ce projet collectif qui nous réunit aujourd’hui.

Je vous remercie.


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