Discours de Monsieur Adrien Taquet : Faire de la prévention en santé du jeune enfant une priorité : refonder la PMI

Seul le prononcé fait foi

Madame la Présidente,
Mesdames les députées, chère Michèle, chère Fiona, chère Brigitte,
Mesdames et Messieurs les présidents, administrateurs, représentants des associations
Mesdames et Messieurs les professionnels de PMI,
Je suis ici ce jour à Argenteuil pour vous parler d’une vieille dame.

Cela peut paraitre étonnant voire paradoxal pour un ministre en charge de la protection des enfants et qui consacre son énergie à répondre à leurs besoins. Cette dame de bientôt 75 ans, c’est la protection maternelle et infantile. En même temps que la sécurité sociale, elle est l’enfant de la Seconde guerre mondiale et de la volonté d’en sortir en proposant un nouveau pacte social qui mette la santé de l’enfant et la prévention au coeur de l’action publique.

La PMI, c’est en effet une géniale intuition : celle d’un outil de santé globale, encastré dans le social, faisant appel à des professionnels variés et qui s’adresse à tous de manière gratuite. C’est aussi un pari : considérer que du bien-être de l’enfant et de ses parents découle une société apaisée, une société pacifiée, une société qui intègre chacun et qui enraye les inégalités de destin. La PMI, c’est donc une utopie concrète. La PMI est populaire, au sens profond et positif du terme ; c’est-à-dire à la fois aimée et ancrée dans le quotidien des gens. Elle est de ces institutions patrimoniales dont on parle peu mais dont la présence rassure parce qu’elle a toujours été là, parce qu’il ne pourrait pas en être autrement.

La PMI a, dès sa naissance en 1945, prouvé son utilité en s’attaquant au fléau de la mortalité infantile. C’était au départ l’enjeu prioritaire. Puis son histoire a continué avec les combats en faveur de la promotion de la santé de l’enfant et sa future et jeune mère : création d’examens prénataux, constitution de plans de périnatalité, développement de la connaissance et du recueil de données. La PMI a aussi joué un rôle pour que le projet de donner la vie soit un choix éclairé et consenti, à travers des actions d’éducation sexuelle, de planification familiale et d’accompagnement des décisions d’interruption volontaire de grossesse.

Qu’est donc devenue cette ambition ? A-t-elle résisté à l’épreuve du temps ou bien s’est-elle fracassée sur les changements qu’il entraine forcément ?
A l’heure où les Français nous ont fait part de leur demande de services de proximité et de présence dans les territoires, je dirais d’abord que cette vieille dame est toujours bien vivace : présente dans plus de 5000 lieux sur l’ensemble du territoire, elle est chaque jour au contact de milliers d’enfants et de parents que ce soit à leur domicile, à l’école, dans des espaces de santé ou des centres médico-sociaux. Il existe donc bien toujours un lieu d’accueil ouvert, gratuit, accessible. Et j’ajoute que, sous la responsabilité des départements depuis plus de 35 ans, ce service public concourt à de nombreuses politiques sociales de proximité : la protection de l’enfance, le soutien à la parentalité, l’action sociale, l’insertion.

Cependant, à l’instar de ses cousines, la médecine scolaire et la protection judiciaire de la jeunesse, nées comme elle aux lendemains de la guerre et qui incarnaient la réalisation d’un Etat providence, la PMI est aujourd’hui en difficulté.

Je ne parle pas ici de simples difficultés de fonctionnement passagères mais bien d’une perte de sens et d’une interrogation sur l’avenir. Le rapport de Mme Michèle Peyron, dont je salue le travail, en a parfaitement dressé le constat. Je le rappelle brièvement :

 structurée au départ autour d’une vision globale et cohérente de la santé, la PMI regroupe aujourd’hui des missions multiples, pas toujours correctement articulées entre elles ;
 partie d’un ancrage territorial fort, la PMI souffre aujourd’hui, dans certains endroits, d’une nette tendance au repli et d’un manque de coopération avec les autres professionnels de santé du territoire ;
 d’une pluridisciplinarité porteuse de sens, nous sommes hélas aujourd’hui dans une situation de manque d’attractivité et de difficulté à pourvoir les postes.

Et pourtant, l’ambition de départ n’a pas perdu de sa pertinence. Bien au contraire.

A l’heure où la médecine de pointe fait plus de progrès que jamais, à l’heure où l’on met tous nos espoirs dans la médecine génomique et dans la santé numérique, la progression des inégalités sociales de santé doit nous interpeler.

La France fait partie des pays où les inégalités sociales de mortalité et de santé sont les plus élevées en Europe occidentale et celles-ci n’ont eu aucune tendance à régresser ces dernières années, contrastant avec l’amélioration du niveau moyen de l’état de santé. Et c’est ce qui nous intéresse particulièrement aujourd’hui : ces inégalités de santé sont présentes dès le ventre de la mère et sont observées dès le plus jeune âge. C’est ce défi qu’il convient de relever.

Il est aussi un autre défi à relever : celui de répondre aux nombreuses attentes des parents d’aujourd’hui parce que les familles ont changé et parce que tout un chacun peut être confronté à des difficultés dans l’éducation de ses enfants dès la naissance et au cours des premières années de vie. La famille d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier : elle connaît davantage de ruptures, de recompositions. Or, être parent n’est pas inné, cela s’apprend.

Les premières années de vie, celles dont les progrès des neuro sciences nous ont montré qu’elles laisseront des traces durant la vie entière, sont aussi des années difficiles pour les parents. Faire face aux bouleversements familiaux qu’entraîne l’arrivée d’un enfant quel que soit son rang dans la fratrie, s’interroger sur ses problèmes de santé, sur son alimentation mais aussi sur la manière dont il sera gardé, sur son apprentissage du langage, sur son éveil au monde, ou bien repérer très tôt ce qui ne va pas, tout cela s’apprend et il faut être correctement accompagné, conseillé. Je pense par exemple à la prévention du syndrome du bébé secoué qui fait encore des ravages chez les enfants de moins de un an. Mais cela peut être plus simple : par exemple quelle est la conduite à tenir lorsqu’un enfant pleure toutes les nuits ou s’il a de la fièvre ?

Evidemment c’est plus difficile lorsque les parents sont seuls, font face à une situation de handicap ou se séparent par exemple. On découvre alors la fragilité des familles et combien il est important que les parents puissent trouver facilement l’information et les professionnels dont ils ont besoin, pas seulement en matière de santé mais aussi de soutien à la parentalité et d’éducation au sens large.

Même si la prévention en santé et l’accompagnement des parents est une compétence confiée aux départements, l’Etat se doit d’être présent à leurs côtés.

C’est la raison pour laquelle Agnès Buzyn m’a confié la tâche de donner corps à une politique de prévention en santé en direction des enfants, dans la droite ligne de ce qui a été déjà accompli au cours de ces deux dernières années (je pense en particulier à l’action volontariste de la ministre en ce qui concerne la vaccination). Il s’agit aussi et surtout de construire une politique cohérente de soutien à la parentalité qui puisse tracer les contours d’un parcours parents cohérent, rassemblant les informations et les services de proximité dont ils ont besoin, sans devoir s’adresser à de multiples guichets, dans le dédale angoissant des divers services sociaux. J’ai appelé ce parcours, à la suite du Président de la République dans son discours du 25 avril, le « parcours 1000 jours » mais en réalité, il couvrira les premières années de vie jusqu’à l’entrée à l’école maternelle. La PMI y aura toute sa place si elle sait se moderniser.

L’Etat doit être aux côtés des départements sur tous ces enjeux fondamentaux pour notre avenir mais pas pour préserver un modèle désormais obsolète. Il s’agit d’aider au changement et à la transformation pour mieux répondre aux besoins et aux attentes de nos concitoyens. Les besoins du XXIème siècle ne sont pas ceux de 1945.

Quels sont les besoins des parents et comment y répondre ?

Je suis allé récemment en Finlande et ce qui m’a marqué, c’est que les parents sont vraiment pris en charge dans le cadre d’un parcours personnalisé et cohérent. Et c’est vers cela qu’il s’agit de tendre en France. Grâce notamment à une meilleure articulation des professionnels entre eux : de l’hôpital, de la ville, de la PMI donc.

Il faut commencer par l’entretien prénatal précoce qui doit être développé et devenir la porte d’entrée d’un véritable parcours personnalisé à partir de la grossesse et dans les premières années de vie de l’enfant.

Le premier enjeu est d’offrir aux parents et aux enfants des parcours sans ruptures, où ils n’ont plus à être eux-mêmes les coordonnateurs de professionnels multiples qui ne communiquent pas entre eux.

A l’heure où les durées d’hospitalisation après l’accouchement sont très réduites, où des écarts peuvent se creuser entre territoires en matière d’offre de soins pré et post-natale, la coordination entre les professionnels de santé est un impératif majeur. Ce qu’attendent nos concitoyens est simple, même si c’est difficile à mettre en oeuvre concrètement : des interlocuteurs clairs, identifiés, articulés entre eux qui leur apportent, au plus vite, des réponses à leurs besoins, à leurs difficultés, à leurs interrogations. Nous visons encore trop dans une logique de cloisonnement des acteurs qui rend complexe la vie des gens et les laisse dans un sentiment de solitude. C’est aussi ce que le Grand débat national a permis de montrer.

Le carnet de santé ou le dossier médical personnel, doivent être davantage utilisés justement pour favoriser les échanges entre professionnels et le suivi en santé des enfants.

Mais les parents veulent aussi accéder à un lieu où la santé globale de leur enfant est considérée, avec un regard de professionnels ayant des compétences diverses.

Refonder la PMI c’est aussi, pour moi, soutenir le recours à des psychologues, à des psychomotriciens, à des éducateurs de jeunes enfants, aux conseillers conjugaux et familiaux.

Michèle Peyron a parfaitement souligné dans son rapport la problématique de la pénurie de médecins : en 2020, les deux tiers des médecins qui exerçaient en 2006 seront partis en retraite. Je refuse que cette difficulté, réelle, exacerbée dans les territoires ruraux, devienne une fatalité et une raison de baisser les bras : les compétences professionnelles plurielles des PMI doivent être mises différemment au service des parents et des enfants.
Il faut donc s’interroger sur l’attractivité du statut de médecin territorial et répondre aux attentes des jeunes médecins en encourageant davantage les passerelles et les temps partagés entre PMI, secteur hospitalier et médecine de ville.

Il me semble aussi indispensable de faire évoluer les pratiques pour dégager du temps médical : la répartition des missions entre médecins et infirmières puéricultrices sera ainsi retravaillée dans le cadre d’un nouveau protocole national de coopération porté dans le cadre de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale, pour faciliter notamment les délégations de missions et la réalisation des bilans de santé à l’école.

Les réponses sont donc des parcours personnalisés, des parcours sans couture et une vision globale de la santé.

Parlons à présent des moyens pour parvenir à répondre aux besoins des parents et des enfants.

Il faut tout d’abord réinterroger les contours et l’ampleur des missions des PMI pour les recentrer sur la santé de l’enfant et l’accompagnement des parents.

L’accomplissement de certaines procédures sont devenues trop prenantes pour les professionnels de PMI : je pense par exemple à la question des agréments des modes d’accueil individuels et collectifs pour laquelle j’ai demandé à l’IGAS une mission complémentaire d’analyse des conditions de leur simplification d’abord, de leur transfert à d’autres acteurs ensuite. Des décisions pourront être alors prises en association étroite avec les représentants de conseils départementaux.

Il s’agit pour moi de recentrer très clairement les missions de la PMI sur ce qui compte vraiment : la santé du jeune enfant, son développement et son bien-être global et la capacité à se rendre au domicile des personnes. Il faudrait à terme que les PMI se rapprochent de centres de santé de proximité qui feraient à la fois du soin et de la prévention, adaptés aux besoins des personnes.

Pour atteindre cette ambition globale, je suis convaincu qu’il faut une nouvelle méthode de travail. Cette méthode, c’est celle d’un partenariat refondé entre l’Etat, responsable de la santé de l’ensemble de nos concitoyens et garant du respect des droits de l’enfant, et les départements qui exercent depuis 1983 cette compétence et la mettent en oeuvre quotidiennement.

C’est une méthode, la contractualisation, comme ce qui est aujourd’hui en cours en matière de lutte contre la pauvreté, avec un socle d’objectifs nationaux et des actions propres à chaque territoire : on ne réalise en effet pas les missions de la PMI de la même manière à Argenteuil et à Cahors, car la démographie, la situation socio-économique, l’environnement médical, social, partenarial varient et doivent être pris en compte. Il faut partir d’un état des lieux des besoins pour adapter les services à chaque territoire et à chaque population.

Cet état des lieux posé, des engagements réciproques devront être pris avec une mobilisation financière pluriannuelle de l’Etat et des départements en face. Je m’engage à ce que cette mobilisation soit intégrée dès 2020 dans les arbitrages budgétaires que nous sommes en train de préparer avec Agnès Buzyn en ce qui concerne le fonds d’intervention régionale, à la main des Agences régionales de santé.

Il faudra ensuite modifier les normes en matière de personnels, totalement obsolètes, pour les remplacer par des objectifs clairs et lisibles de santé publique. J’en citerais trois :

 faire en sorte que 100% des bilans de santé en école maternelle pour les 3-4 ans soient réalisés à horizon 2022, c’est-à-dire que plus aucun enfant n’ait pas vu un médecin à cet âge ;
 accentuer la mobilité des professionnels au domicile ou au lieu de vie de l’enfant et de sa famille,
 développer les consultations prénatales et postnatales, notamment en valorisant l’expertise des sages-femmes de PMI.

Ces objectifs nous permettront notamment de faire progresser notre politique de santé publique dans le sens d’une réduction des disparités territoriales car, comme le note le rapport de Michèle Peyron, les dépenses de santé par enfant sont très hétérogènes d’un département à l’autre.

L’Etat, par le biais des Agences régionales de santé, devra aussi encourager l’innovation en PMI, notamment les actions de soutien à la parentalité et d’éducation à la santé : une enveloppe financière sera fléchée dès 2020 à cet effet au sein du Fonds d’Intervention Régional des Agences régionales de santé. Je pense par exemple à des actions concernant la nutrition des enfants car l’obésité se développe et elle touche davantage certaines catégories de populations.

Mesdames, Messieurs, une double dynamique doit se mettre en oeuvre pour la PMI.

Elle doit à la fois redevenir ce qu’elle est, plonger dans les racines profondes de ce qui a fait son succès dans le coeur des familles françaises : proximité, universalité, proportionnalité, gratuité.

Mais le PMI doit, dans le même temps, se réinventer pour répondre aux attentes nouvelles des parents et aux besoins des enfants d’une part, pour relever les nouveaux défis auxquels nous faisons face, au plan territorial, d’autre part.

Une double dynamique à l’oeuvre qui impose que nous réfléchissions à une nouvelle dénomination qui en rendra compte.
Une double dynamique à l’oeuvre qui fera de la PMI une composante essentielle du parcours des 1000 premiers jours de la vie de l’enfant qui nous sommes en train de bâtir.

Je vous remercie.

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