Discours d’Aurélien Rousseau aux Universités d’été de la FHF - « Les responsabilités en santé »

Mercredi 6 septembre 2023

Seul le prononcé fait foi

Madame la ministre, Aurore Bergé,
Monsieur le Président de la FHF, Arnaud Robinet,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Madame la déléguée générale Zaynab Riet,
Mesdames et Messieurs, en vos grades, qualités et fonctions,

Je dois dire qu’il y a des moments comme celui-là qui font comme des « courts-circuits ». Parce que tout à coup, je vois beaucoup de visages connus, amis, que j’ai croisés, ici où là, et je suis particulièrement ému d’être ici.

Et cela veut bien dire que la FHF est cette « Maison commune des hospitaliers », que vous défendez et qui porte la voix de celles et de ceux qui font notre hôpital public.

Je vous remercie de nous accueillir ce matin !

C’est un plaisir, et c’est par ailleurs l’occasion de tracer quelques lignes de l’action que je souhaite développer à la tête du ministère de la Santé et de la Prévention. Vous verrez que tout ceci est très complémentaire avec ce qu’Aurore Bergé aura l’occasion de vous dire dans un instant.

Depuis le 20 juillet, je cherche comment qualifier la situation à l’hôpital, qui, en vérité, n’est pas exactement la même que celle que j’ai laissée en septembre 2021, quand j’ai quitté l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France.

Je ne trouvais pas exactement les mots pour le qualifier… et un ami proche, qui a subi cet été plusieurs opérations à l’hôpital public, à Georges Pompidou, m’a envoyé un message hier soir qui disait : « Chaque fois que je sors de l’hôpital, je me rends compte à la fois combien il est formidable et fragile  »

Je me suis dit qu’avec ces deux adjectifs, il avait touché juste, que c’est bien ce que l’on ressent, chaque fois que l’on sort ou que l’on rentre à l’hôpital public.

Un hôpital formidable et fragile

Je pense tout d’abord, et je le dis, au-delà du fait qu’il faut toujours le dire quand on est ministre : Nous avons en France la chance de disposer d’un système de santé d’excellence ! Encore aujourd’hui. On est dans le « formidable ».

Et oui, c’est une évidence. Mais cela va quand même mieux en le disant, en le redisant !

Nous devons être fiers de la qualité des hommes et des femmes qui y pratiquent la médecine, qui y enseignent, qui y recherchent ; de la qualité du personnel soignant ; de la qualité de l’ensemble des agents de direction, administratifs et techniques.

Vous pouvez être fiers de ce que vous avez réalisé pendant la crise Covid. Au fil des vagues épidémiques, plus de 80% des personnes hospitalisées à cause du coronavirus ont été prises en charge à l’hôpital public. Chacun sait ce que l’on vous doit.

Plus récemment, l’hiver dernier, encore cet été, vous avez aussi tenu face à l’épidémie de bronchiolite, à la triple épidémie, à la canicule… malgré des tensions fortes dans bien des services, malgré des carences dans de nombreux établissements, l’hôpital a fait face.

Et oui, c’est un hôpital formidable, mais fragile. Loin de moi l’idée de tout repeindre en rose !

J’ai eu l’occasion de me déplacer régulièrement cet été, et tout ce que j’ai vu a confirmé cette conscience assez précise de ce que sont les difficultés de l’hôpital public.

Loin de moi donc une vision angéliste des choses, mais je me refuse tout autant au catastrophisme.
Et je trouve que ce qui a changé, justement, c’est que ni l’une ni l’autre de ces visions ne s’impose.

Et si je reprends le « formidable et fragile » de cet ami, c’est parce que je crois que le « fragile » ne disparaîtra pas d’un coup, y compris parce que c’est l’essence même, l’éthique même du soin. Mais le fragile ne doit pas nous empêcher de trouver du sens, de retrouver du sens et de l’espace d’autonomie.

La fragile, je l’illustrerais par cette phrase d’une cadre de proximité, au CHU de Rouen, la semaine dernière, qui était en service de médecine interne et avait du mal pour remplir son planning de médecins de nuit, et qui me disait : « A la fin, mon seul objectif, c’est de remplir ce planning, et de permettre aux infirmières d’avoir les formations qu’elles demandent. Parce que sinon, elles partent. »

Et je trouve que dans cette phrase, dans cet engagement-là, se reflétait aussi tout ce qu’est l’action des unes et des autres.

L’hôpital public, c’est bien notre « maison commune ».

Une maison vivante, qui a le visage des plus d’un million de personnes qui y travaillent, qui permettent de prendre en charge les près de 12 millions de patients hospitalisées chaque année, dans quelque 1400 établissements, à travers le pays… donnant tout son sens à cette notion de responsabilité populationnelle, et de parcours, dont nous avons reparlé avec Le Président et la Déléguée générale, et dans laquelle la FHF est pionnière.

L’intitulé « les responsabilités », me parle particulièrement. Il donne un peu le vertige. Nos responsabilités collectives, c’est évidemment que ces transformations de l’hôpital, que cette résilience du système hospitalier, puissent aussi se développer hors des crises.

Vous avez collectivement fait la démonstration que l’hôpital savait tenir dans les crises… on peut peut-être alors essayer de bouger sans avoir cette mise sous tension.

Des responsabilités plurielles et partagées

Cette responsabilité populationnelle et territoriale, le président de la République a souhaité en faire une pierre angulaire de notre système de santé, et c’est pour cela qu’elle est inscrite dans la loi, depuis 2019 [1].

La formule est, je la reprends : « l’ensemble des acteurs de santé d’un territoire est responsable de l’amélioration de la santé de la population de ce territoire ainsi que de la prise en charge optimale des patients de ce territoire ».

Cette reconnaissance législative, elle est aussi une reconnaissance du travail de fond mené par la FHF pour défendre et ancrer cette démarche.

Mesdames et Messieurs, pour répondre aux besoins de santé croissants des Français, faire face au vieillissement de la population et au poids des maladies chroniques, cette responsabilité populationnelle nous en avons plus besoin que jamais !

La crise a été ce formidable moment d’innovations, et de dépassement de certaines frontières que l’on pensait infranchissables.

Les organisations mises en place localement pour faire face aux tensions estivales, et assurer partout la permanence des soins, soutenues par les pouvoirs publics, en sont aussi des marqueurs importants.

L’Etat, le ministère de la Santé et de la Prévention, doit être le promoteur et le facilitateur de ces dynamiques locales et innovantes que vous portez.

Et ces dynamiques, elles ne sont pas toujours choisies, elles sont parfois subies.

Là encore je ne veux pas tout repeindre en rose, mais cette année particulièrement, nous avons été capables, collectivement, de mieux anticiper les difficultés, même si cela ne veut pas dire pour autant qu’elles aient disparues, qu’elles dessinent un monde idéal, ou une organisation idéale du système de santé.

C’est l’un des marqueurs essentiels, le fait d’être promoteur et facilitateur des dynamiques locales, que je souhaite donner à ce ministère.

Je pense aussi aux ARS, notamment dans les relations que vous vivez les uns et les autres avec elles. Elles ont, elles aussi - et je le dis après un an et demi « hors du champ » - su évoluer et changer, s’adapter et accepter de n’être pas seulement le relai des impossibilités, mais aussi des expérimentateurs de ce qui est possible !

Le président de la République nous a demandé de porter une réforme globale et de long terme, mettant fin au caractère central de la tarification à l’activité, et faisant place à une part structurante de rémunération sur des objectifs de santé publique, négociés à l’échelle d’un territoire et permettant une reconnaissance effective des missions réalisées par chacun.

Il me semble aujourd’hui que, y compris avec les ARS, nous disposons d’une palette d’outils, pas miraculeuse, et dans une situation d’extrême contrainte, mais je pense qu’avec, nous « pouvons » à nouveau.

Valoriser les efforts de ceux qui s’engagent à l’hôpital

Je m’adresse aux directeurs, mais aussi aux chefs de service dont c’est la vie quotidienne, nous pouvons aussi nous dire à quel point l’attention portée aux organisations et aux collectifs de travail est essentielle.

Pour qu’au sein des services il y ait une plus grande marge de manœuvre des équipes, autour du binôme chef de service - cadre de santé. Une plus grande attention à la qualité de vie au travail, et à la formation également.

Ce mouvement, je ne vous apprends rien, dépasse bien largement les murs des hôpitaux.

Et c’était aussi le sens des annonces sur la nuit la semaine dernière. Nous ne sommes pas collectivement seuls au monde.

Quand on souhaite avoir plus de place pour les cadres de proximité, on voit combien toute organisation, pour se transformer, a besoin de leur donner plus de place.

Quand les soignants, même quand ils viennent d’arriver dans leurs fonctions, veulent pouvoir se projeter sur ce qu’ils feront dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans… c’est la même chose dans tous les champs de la société.

Et on peut éternellement déplorer que les médecins de ville ne vont plus travailler de 7 heures à 22 heures, ou que des praticiens hospitaliers, qui pourtant viennent de réussir le concours, veulent simultanément faire de l’aquaculture… mais tout cela va rester durablement notre vie collective, et nous devons faire avec.

Et je trouve que ce n’est pas si mal, que l’on dise qu’il ne faut plus être un héros pour être un soignant, même si ce métier reste un métier particulier.

Ce qui m’a aussi beaucoup frappé depuis quelques mois, c’est l’engagement - et je remercie notamment les parlementaires présents, des élus dans toutes ces dynamiques territoriales.

Les solutions trouvées n’ont pas forcément toutes besoin d’être des solutions généralisables, et je trouve que, de ce point de vue, il y a une maturité collective qui n’existait pas il y a encore quelques mois.

Notre rôle, notre mission, dans l’administration centrale, du ministère notamment, c’est de simplifier toujours, de redonner du champ et de la marge de manœuvre. Et, une fois qu’une solution locale est trouvée, nous devons nous « débrouiller » pour l’accompagner.

Je pense que cela se fait à l’échelle d’un hôpital ou d’un service, que c’est la responsabilité managériale de suivre l’organisation qui aura été identifiée. Mais c’est aussi vrai à au sein d’un département, d’un territoire, d’une communauté de communes, d’un bassin de vie.

Je pense que cette responsabilité managériale, que je défends, elle n’est résolument pas la « cerise sur le gâteau ».

Je pense aussi à la responsabilité environnementale, je le dis aussi parce que le travail mené par Agnès Firmin Le Bodo, en quelques mois, est remarquable.

J’étais à l’AP-HP il y a quelques jours, et une jeune soignante en service de réanimation m’expliquait qu’elle partait dans quelques mois dans un CHU de province.

Et quand je lui ai demandé pourquoi elle partait, et elle m’a répondu que c’était parce que dans le service où elle allait, il y avait le projet de faire du « zéro déchets ». Cela peut paraitre accessoire, mais cela fait aujourd’hui partie du sens que l’on peut donner à son engagement et à sa manière d’être soignant.

Mesdames et Messieurs, l’hôpital est le lieu de convergence de responsabilités multiples, la responsabilité est au cœur de son ADN.

Cette responsabilité, et c’est notamment la particularité de l’hôpital public, elle est permanente. Car l’hôpital est par essence un lieu qui ne s’arrête jamais de fonctionner… parce qu’il ne peut tout simplement pas s’arrêter !

Je sais donc combien les sujétions qui sont les vôtres sont importantes.

En particulier aujourd’hui, alors qu’il existe une tension entre les transformations à l’œuvre dans le monde du travail, avec la revendication d’une plus grande flexibilité, d’une attention portée à l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle ou d’un recours accru au télétravail, et ces exigences qui pèsent sur l’hôpital. Ces sujétions qui, du coup, pèsent plus lourd encore.

C’est le sens des annonces de la semaine dernière et auxquelles j’ai fait référence.

Je voudrais aussi dire clairement que c’était une voie ouverte par François Braun.

Il s’en était saisi, dès sa nomination. Ces mesures, on les a pérennisées et adaptées pour certaines, et je veux ici rendre hommage à sa détermination sur ce sujet et à tout le travail mené.

C’était absolument nécessaire, et je défends l’idée que ce n’était pas des mesures catégorielles. C’était des mesures qui reconnaissaient une sujétion particulière.

Pour une infirmière en milieu de carrière effectuant 12 nuits par mois, les mesures de nuit représentent un gain brut de 300 euros par mois, de 500 euros en fin de carrière.

Cet effort de l’Etat, il est révélateur du choix que nous faisons, d’assurer la solidité, l’attractivité mais aussi la fidélisation, du pilier de notre modèle social qu’est l’hôpital public.

Le choix collectif de placer la santé au cœur des priorités

Cette nouvelle affirmation de l’importance de la santé aux rangs de nos priorités collectives, et du caractère central de l’hôpital public, est un nouvel élan qui doit nous porter, pour arriver à revoir avec ambition sa place dans le système.

Et quand on est ministre de la Santé, on ne doit pas être gêné de dire que l’on est le ministre de l’hôpital public, même si on est aussi le ministre des autres piliers qui permettent de faire tenir le système.

Et oui, je considère que le Gouvernement a apporté une réponse forte pour l’hôpital, et en assumant des priorités, notamment sur la nuit et sur les personnels non médicaux.

Ces mesures, et notamment la mesure sur l’alignement des tarifs des astreintes, elle doivent aussi permettre de mener un travail de fond.

Ces mesures, elles ne doivent pas être juste une photographie. Lorsque j’ai proposé qu’on aligne à la hausse le niveau des astreintes sur l’hospitalisation privée, c’était pour pouvoir relancer le débat sur la PDSES, qui sinon était biaisé dès le départ.

Encore une fois, tous ces sujets vous devez vous en saisir, à l’échelle de vos établissements, de vos services, et donner toute la force managériale pour les engager !

Je veux que cette rentrée soit un rendez-vous pris, pour que nous puissions sans attendre approfondir tous ces sujets, toutes ces solutions.

Je ne dis pas que le temps des constats ou des diagnostics est terminé, il reste tant d’autres sujets à travailler, mais je pense qu’aujourd’hui, nous sommes armés pour faire face.

Je sais les risques, je sais les difficultés, mais je sais aussi que dans de nombreux éléments, notamment la bonne campagne de recrutement cet été - Arnaud Robinet y a fait référence, les innovations… je sais que quelque chose peut se passer à l’hôpital public.

C’est ce que nous avons voulu donner comme signe aussi avec le président de la République et la Première ministre la semaine dernière.

Dans ce qui peut se passer aussi, et ce sera mon dernier mot, il y a aussi la bataille de la prévention. Parce que je ne suis pas le ministre de la Santé avec vous et le ministre de la Prévention avec d’autres.

La FHF, je le sais, sera engagée sur ce sujet. Pour le dire très directement : le système de santé ne tiendra à terme que si nous prenons ce virage !

Je sais que l’hôpital public est prêt à y participer, s’engage pour y participer et est convaincu, comme moi, que ce n’est pas juste un « supplément d’âme » quand on rajoute le terme de Prévention à l’intitulé du ministère de la Santé.

Je sais votre engagement, et je suis confiant, non pas une confiance un peu béate, mais confiant parce que je sais ce que nous avons déjà accompli ensemble.

Merci à tous.

[1Article 20 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé