Discours d’Agnès Buzyn - Assemblée nationale PPL Garot – déserts médicaux, le jeudi 18 janvier 2018

seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Madame la Présidente de la commission des affaires sociales,

Monsieur le rapporteur,

Mesdames et messieurs les députés,

Je vous remercie d’aborder ce sujet, ô combien majeur pour notre système de santé : celui de l’égal accès aux soins.

1. Notre pays, vous le dites très justement, reste marqué par de fortes inégalités de santé, tant sociales que territoriales.

Tous les territoires, en effet, ne bénéficient pas du même niveau de couverture de leurs besoins.

Le nombre moyen de consultations par habitant et par an sur un territoire donné varie de 1 à 3 :

  entre les 10% des Français les plus favorisés,

  et les 10% des Français les moins favorisés.

Ce rapport atteint :

  1 à 8 pour les ophtalmologistes,
  1 à 14 pour les pédiatres,

  et 1 à 19 pour les psychiatres.

La répartition inégale des professionnels de santé explique en partie cette disparité. Pour y remédier :

  la solution ne peut pas venir d’une mesure unique comme le « conventionnement territorial »,

  mais, bien plutôt, d’un ensemble d’outils innovants, souples et adaptables au niveau local ; et qui tienne compte, comme vous le rappelez, de l’exigence en matière de qualité des soins et de prévention.

Plutôt que de parler de mesures incitatives, ponctuelles -, qui doivent rendre plus attractives les zones sous médicalisées,

  je préfère aborder avec vous les mesures structurelles, qui portent sur l’organisation générale de l’offre de soins.

2. Mais tout d’abord, en dépit de sa prégnance dans le débat public, l’expression de « désert médical » me semble inappropriée.

2.1. Certes, l’accès aux soins connaît des problèmes importants, des problèmes réels dans notre pays. Pour autant, posons-nous les bonnes questions :

  qu’est-ce qu’un bon accès aux soins ?

  et doit-il se limiter à la simple présence d’un médecin généraliste ?

Permettez-moi, de prendre pour exemple une pathologie que je connais bien : le diabète.
Son suivi ne nécessite pas seulement un médecin généraliste, il faut :

  une équipe de soins pour faire de l’éducation thérapeutique,

  une infirmière au domicile du patient,

  un cardiologue,

  un orthoptiste en lien avec une ophtalmologiste,

  un podologue, et ainsi de suite.

2.2. Or, s’agissant de la répartition des médecins dans leur ensemble, sur le territoire, le niveau d’inégalités est semblable à celui de 1983.

Quant au nombre de communes comptant un médecin généraliste libéral, il est aujourd’hui plus élevé qu’il n’était dans les années 1980.

De la même façon, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), dans son rapport concernant l’inégalité d’accès aux soins, précise que la répartition des médecins est aussi homogène que celle des pharmaciens.

  Or, ces derniers constituent une référence, puisque leur installation est régulée.

C’est tout le paradoxe :

  plus de 8 Français sur 10 résident dans une commune où exerce un médecin généraliste ;

  et quasiment tous ont accès à un médecin généraliste en moins de 20 minutes.
En réalité, nos problèmes d’accès aux soins sont avant tout le fait de territoires où une offre de soins est présente, mais insuffisante pour répondre à la demande, d’où :

  une prise en charge de plus en plus complexe des pathologies chroniques, et de plus en plus pluri-professionnelle.

  des difficultés pour obtenir un rendez-vous,

  une charge de travail excessive pour les professionnels,

  ou encore des délais d’attente trop importants pour les patients.

3. Aussi, il nous faut, pour aborder ce problème épineux, entreprendre ce que vous appelez, très justement, une « évolution des mentalités ».

3.1. Je pense tout d’abord à l’aspiration des jeunes médecins, et à leur répartition sur le territoire.

L’exercice en groupe est très prisé des jeunes générations de professionnels de santé :

  2 généralistes de moins de 40 ans sur 3 exercent sous cette forme, contre moins de la moitié de leurs confrères de plus de 60 ans.

  Cet effet générationnel est encore plus marqué chez les spécialistes.

3.2. Je pense également aux mesures structurelles, qui doivent mieux organiser la permanence des soins, et développer les maisons, les centres et les pôles de santé.

En vue d’un accès aux soins plus juste, ces structures sont nécessaires, mais non suffisantes.
  Certes, ces structures peuvent aider à maintenir la présence des médecins dans les zones en voie de fragilisation, mais ne peuvent pas répondre aux besoins des zones déjà désertées.

  Or, à mes yeux, lutter contre les déserts médicaux, c’est avant tout rendre les territoires attractifs, et leur permettre à chacun d’avoir leur propre organisation des soins en lien avec tous les acteurs..

3.3. Je pense aussi aux réformes menées ces dernières années, et qui vont dans le bon sens.

La loi du 2 janvier 2016 a ouvert la possibilité de certaines formes de délégation, pour un meilleur partage de l’activité médicale entre praticiens et professions paramédicales.

Nous accélérerons ces transferts de compétences :

  pour mieux réguler les files d’attente ;

  pour faire face à la diminution annoncée de la démographie médicale ;

  pour optimiser le système de soins ;

  et pour mieux reconnaître – ce qui est légitime – les professions paramédicales.

3.4. Qui plus est, de nombreuses aides existent déjà, pour favoriser le maintien, l’installation et l’exercice professionnel des médecins libéraux.

A cet égard, il nous faudra remédier à l’empilement de l’ensemble de ses dispositifs, qui se traduit par :

  une absence totale de lisibilité ;
  et par une impossibilité d’évaluation, comme l’indique la Cour des comptes.

4. Toutes ces pistes me font penser que le « conventionnement sélectif » ne saurait être la solution.

Tout d’abord parce que, comme vous l’avez dit, tout projet de santé doit s’adapter aux besoins des territoires.

  Or, chaque territoire est différent, qu’il soit situé en ville, en périphérie ou à la campagne, sur une île ou en montagne.

Mais, surtout, ce dispositif a été mis en place, comme vous le savez, il y a 25 ans de cela, en Allemagne.

  Or, si le conventionnement sélectif permet de dissuader l’installation dans les zones sur-dotées,

  il ne garantit pas pour autant que les médecins iront s’installer dans les zones sous dotées.

A cet égard, permettez-moi de citer le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat :

« Nos interlocuteurs allemands ont (…) fait le constat que [le conventionnement sélectif] ne parvient pas à résoudre,

  d’une part, le manque de spécialistes et de généralistes dans les Länder de l’Est dont la population a baissé,

  et, d’autre part, l’excédent d’offres dans les Länder plus dynamiques de l’Ouest.

On constate, en fait :
  une fuite des médecins vers d’autres formes d’exercice,

  ou une implantation à la frontière des zones sur-denses. »

5. C’est pourquoi, pour prendre à bras le corps cet enjeu qui nous tient à cœur, il nous faut, plutôt que des mesures coercitives, adopter une vision d’ensemble, stratégique.

5.1. Vous le savez, la stratégie nationale de santé (SNS) a été adoptée par décret le mois dernier.

L’une de ses priorités est la lutte contre les inégalités en matière de santé, pour permettre à chacun de nos concitoyens de bénéficier : du bon acte médical, par le bon praticien, au bon endroit, dans la bonne structure, et au bon moment.

5.2. A cet effet, le plan d’accès aux soins, présenté en octobre dernier, s’appuie sur les dynamiques qui partent des territoires, en favorisant les synergies entre professionnels, élus et usagers.

  C’est à cette condition, et à cette condition seulement, que les acteurs locaux pourront construire ensemble un projet de soins mieux adapté à la réalité quotidienne des Français.

Ce plan s’articule en 4 priorités :

  Renforcer l’offre de soins dans les territoires au service des patients, grâce à une présence médicale et soignante accrue ;

  Mettre en œuvre la révolution numérique en santé pour abolir les distances ;

  Mieux organiser les professions de santé pour assurer une présence soignante pérenne et continue ;
  Et, surtout, faire enfin confiance aux acteurs des territoires pour construire des projets et innover dans le cadre d’une responsabilité territoriale.

6. J’en viens maintenant à la deuxième partie de votre proposition de loi (PPL), sur le tiers payant.

6.1. Tout d’abord, il est déjà obligatoire dans le cadre de la CMU-C au sein des structures – comme les maisons de santé ou les centres de santé.

Par ailleurs, sa pratique s’est fortement développée depuis 2015 pour :

  les patients en situation de précarité – notamment pour les bénéficiaires de l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS),

o avec un taux de tiers-payant de 99,1 % en 2017,

  et pour les patients atteints d’une affection de longue durée (ALD), ou couverts au titre de l’assurance maternité,

o pour lesquels le tiers-payant représente respectivement 98,6 % et 90,4 % des soins.

6.2. Toutefois, la mise en place du tiers payant généralisé a soulevé des difficultés pratiques pour les professionnels de santé dont nous devons prendre la pleine mesure.

A ce titre, j’avais confié à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) :

  leurs conclusions font apparaitre que, je cite, «  le maintien dans la loi de l’obligation du tiers-payant pour tous les patients au 30 novembre 2017 est désormais irréaliste ».
Il convenait dès lors de changer de méthode en facilitant d’abord cette pratique de facturation, tant sur la part obligatoire que complémentaire.

Le tiers payant intégral généralisable est l’objectif cible, car il permettra de lever tous les freins financiers à l’accès aux soins.

6.3. Aussi, tout en maintenant l’objectif de la loi de santé, j’ai demandé à l’IGAS de me proposer d’ici mars 2018, un rapport pour :

  définir un calendrier précis de mise en œuvre opérationnelle et technique du tiers payant intégral ;

  et pour identifier les publics pour lesquels un accès effectif au tiers payant devrait être garanti au-delà des patients prioritaires, déjà obligatoirement couverts par le tiers payant.

Ce sont :

  les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c) et de l’ACS,

  les personnes atteintes d’une ALD,

  les personnes prises en charge au titre du régime des accidents du travail et maladies professionnelles et au titre de l’assurance maternité.

Le tiers payant sera donc généralisable pour tous les patients, c’est-à-dire mis en œuvre progressivement tant sur la part obligatoire que complémentaire, grâce à des outils simples et fiables d’utilisation pour les professionnels de santé.

 - -
Mesdames et Messieurs les députés,

Les étapes sont encore nombreuses avant de parvenir à une égalité d’accès aux soins sur l’ensemble de notre territoire ; mais l’obligation d’installation, le conventionnement sélectif ne répondront pas à cette problématique – bien au contraire.

J’ai toute confiance :

  en nos professionnels de santé, en nos élus – en vous-mêmes –, en nos agences régionales de santé (ARS),…

  …pour mettre en place grâce à l’ensemble des outils mis à disposition (le plan accès aux soins, le fond d’innovation ou encore la télémédecine),…

  …des modes de fonctionnement innovants.

Cessons d’opposer la médecine de ville et l’hôpital, les établissements publics et privé :

  pensons plutôt parcours, qualité et pertinence des soins, afin d’améliorer durablement notre système de santé :

o pour mettre fin aux fractures territoriale et numérique ;

o et pour que la santé rime pleinement avec les solidarités.

Je vous remercie.

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