Discours d’Agnès Buzyn - Centenaire de la Ligue contre le cancer Cité des sciences de la Villette, le mercredi 14 mars 2018

seul le prononcé fait foi

Madame la Présidente de La Ligue, chère Professeure Jacqueline GODET,

Messieurs les présidents d’honneur de la Ligue, cher professeur Francis LARRA, cher professeur Henri PUJOL,

Monsieur le président du Comité d’organisation du Centenaire, et administrateur national de la Ligue, cher professeur Simon SCHRAUB,

Monsieur le Maire du 19ème arrondissement de Paris, cher François DAGNAUD,

« La question du cancer se présente d’une double manière :

 d’une part c’est une maladie du corps, dont il est probable que je mourrai, mais peut-être puis-je la vaincre et survivre,

 d’autre part, c’est une maladie de l’âme, dont je ne puis dire qu’une chose : c’est une chance qu’elle se soit enfin déclarée.

Je veux dire par là qu’avec ce que j’ai reçu de ma famille au cours de ma peu réjouissante existence, la chose la plus intelligente que j’aie jamais faite, c’est d’attraper le cancer. »

C’est en ces mots, pour le moins déroutants, que l’écrivain Fritz Zorn nous raconte son expérience du cancer. J’ai voulu introduire mon propos par une expérience optimiste, où affleure le réconfort des proches.
Oui, c’est cette richesse, cette sollicitude vis-à-vis du patient qui vous caractérise le plus.
1. Vous fêtez cette année vos 100 ans, qui sont autant d’années d’avancées dans la lutte contre le cancer.

1.1. Nous tous, de près ou de loin, connaissons les drames du cancer.

Les souffrances qu’il provoque touchent aujourd’hui le monde entier : 14 millions de nouveaux cas chaque année, dont 385 000 en France.

Les conséquences, nous le savons, sont tragiques : 8 millions de décès par an, dont 150 000 dans notre pays.

Ce fléau, probablement, s’accusera avec le temps, au gré du vieillissement de la population.

Il appartient à nous de faire de cette opportunité inespérée – vivre plus longtemps – un bonheur pour tous : vivre plus longtemps, certes, mais en bonne santé.

1.2. Pour les 3 millions de nos concitoyens touchés par la maladie, c’est le quotidien, dans son ensemble, qui s’en trouve menacé.

Les vies professionnelle et familiale, la scolarité des enfants, les projets d’avenir – et les emprunts qu’ils supposent : tout est bouleversé.

Pour les professionnels de santé, la médecine devient de plus en plus complexe, les traitements évoluent de plus en plus vite.

 Les soignants, dès lors, doivent s’adapter, renouveler leurs pratiques, à un rythme de plus en plus difficile à tenir.

Ces drames sont d’autant plus inacceptable que, rappelons-le, 4 cancers sur 10 auraient pu être évités, et cela en modifiant simplement nos comportements quotidiens.

2. Je ne saurais trop vous remercier du service rendu aux personnes malades.

Vous avez très vite compris que la lutte contre le cancer était un enjeu collectif, que vous deviez vous « liguer » contre ce fléau.

2.1. Vous avez porté les Etats généraux du Cancer en 1998, 2000 et 2004, qui ont donné lieu aux 3 plans cancer.

Je remercie en particulier les professeurs Francis Larra et Henri Pujol, pour votre engagement sans faille dans les Plans Cancer 1 et 2, et je sais combien vous-même, Mme la présidente, vous impliquez avec détermination dans le Plan Cancer 3.

2.2. Ces réussites sont aussi, comme toujours, un héritage du passé.

(i) Rappelons que la maladie est encore très mal connue quand, il y a 100 ans jour pour jour, la Ligue franco-anglo-américaine contre le cancer est fondée : la pathologie étant insidieuse et tenace.

Le fondateur, Justin Godart, était alors le premier à avoir le courage, à oser affirmer que le cancer n’est pas une fatalité, et que les malades, souvent rejetés par les hôpitaux, méritent de recevoir un traitement.

(ii) En outre, je pense bien sûr aussi aux chercheurs et aux chercheuses, à tous ces soldats de l’ombre qui œuvre pour la connaissance, et ce faisant, pour l’humanité.

Vous récompensez le 10 000ème boursier, ou devrais-je dire, la 10 000ème boursière de la Ligue :

– bravo encore à la lauréate, Victoire Cardot.

Dois-je l’avouer, je suis heureuse que la récipiendaire soit une femme, tout comme je suis heureuse, chère Jacqueline Godet, qu’une femme, pour la 1e fois, préside de la Ligue.
Bien sûr, je pense à Marie Curie, dont nous avons l’an dernier commémoré le 150e anniversaire.

 Notre Prix Nobel était à la fois génie scientifique et pionnière des centres de lutte contre le cancer.

J’aimerais rendre également hommage au docteur Regaud, qui a été décisif dans la lutte contre le cancer, dans notre pays.

 Nous lui devons les premiers traitements par radiothérapie de patients atteints de cancer.

3. Je le disais, votre Ligue n’a eu de cesse de poursuivre ce combat historique.
Vous êtes la caisse de résonnance des besoins et des espoirs de nos concitoyens – 94% de vos ressources proviennent d’ailleurs de la générosité du public.

 Merci d’avoir su tisser, durant ce siècle, un lien si fort, si intime, avec les Français.

3.1. J’aimerais aussi profiter de ce bel anniversaire, non seulement pour revenir sur vos grandes victoires, mais sur vos projets ambitieux.

Je le sais, vous plaidez depuis longtemps en faveur de, je vous cite,

« la mise en place d’un bouclier pour protéger toutes les personnes malades des conséquences médicales et sociales du cancer »

.

Ce bouclier rassemblerait des droits et des mesures d’accompagnement, qui bénéficieraient aux plus vulnérables :

 les personnes âgées, les familles monoparentales, les personnes isolées géographiquement ou socialement, enfants et adolescents.
Or, vous le savez, j’ai voulu une même ambition pour notre pays, par l’adoption de la stratégie nationale de santé (SNS).

Son premier axe, c’est la prévention – combat qu’il reste à mener, trop peu de Français sont conscients des risques en matière de cancer.

Le philosophe Jankélévitch, dont le père médecin avait étudié de près cette pathologie, écrivait, je le cite :

« Nous aimerions croire que le cancer est d’origine virale, et ceci afin d’écarter la mort des sources de la vie ;

l’idée que si nous mourons, c’est pour avoir « attrapé » la mort, cette idée est plutôt rassurante, comme sont sécurisants les préjugés sur l’origine exogène des maladies. (…)

Or le cancer est caché dans l’infiniment petit du noyau cellulaire, et c’est ce qui rend la lutte si difficile et si aveugle. »

Nous devons poursuivre ce travail de pédagogie. J’ai eu l’honneur de mettre à votre service, par le passé – et je garde d’heureux souvenirs de mes interventions en milieu scolaire.

3.2. Au-delà de vos missions traditionnelles, vous êtes en pointe sur de nombreux combats, très actuels. Je pense :

 à la lutte contre tabac et l’industrie du tabac ;

 à l’accès pour tous aux médicaments innovants en cancérologie, parfois très coûteux ;

 au droit à l’oubli ;

 à la précarisation financière des personnes malades ;

 à la protection, à la prévention des populations les plus vulnérables face aux risques ;
 et, surtout, à la démocratie sanitaire.

3.3. De l’avis de tous, vous avez su développer un véritable modèle en la matière.

Tout comme vous, je souhaite que la démocratie sanitaire aille au-delà de la nécessaire représentation des patients dans les instances du monde de la santé.

Nous devons toujours faire droit à l’expérience du patient, « expérience » dont il faut entendre le double sens de vécu et de connaissance. Vous le savez mieux que quiconque, les patients sont :

 ​des partenaires indispensables de chaque instant,

 ​des co-auteurs de leur prise en charge,

 ​et des experts de leur propre santé.

Vos efforts en la matière ont payé, et aujourd’hui, la médecine prend, chaque jour, davantage en compte le désir du patient.

C’est pourquoi je veillerai à ce que notre système donne à la notion de « soin » un sens large, celui de prise en charge de l’usager du système de santé.

Ce « pouvoir d’agir » n’est pas seulement un besoin du patient, mais aussi une nécessité pour le système de santé.

 A une époque où les maladies cancéreuses sont de plus en plus complexes, le patient, fort de son vécu, en sait parfois plus sur sa santé que son médecin.

C’est aussi, par-là même, reconnaitre leur droit à faire un libre choix. Le serment d’Hippocrate, que j’ai moi-même prêté, le dit bien :

« Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. »

En tant que médecin hématologue, j’ai été en contact, au quotidien, avec des patients souffrant de cancer – et je puis dire qu’il n’était pas un jour sans que j’apprenne d’eux.

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

J’ai pleinement conscience dans vos efforts pour être plus agile encore, tant dans le « faire » que dans « le faire savoir ».

 Votre rôle de lanceur d’alerte, de capteur de signaux faibles, en particulier dans pour les populations vulnérables ou fragiles, est à mes yeux capital.

Vous savez, qui plus est, convaincre les jeunes générations de s’engager associativement dans le champ sanitaire

– et je sais que les volontaires en service civique de la Ligue deviennent, pour la plupart de vrais ambassadeurs contre le cancer.

J’en suis sûre, nous serons à la hauteur des défis de demain. Ce qui m’assure de cela, c’est la richesse, l’éclectisme des personnes, des amis ici présents :

 grand public, personnes malades, soignants, ligueurs, artistes, j’en passe.

J’aimerais partager avec vous cette formule de Delacroix, qui m’a beaucoup donné à penser. Selon le peintre, il y a en tout homme

« un cancer qui demande à s’exprimer »

.

 Sans doute désignait-il ce point limite, infinitésimal, où les forces de vie s’inversent en forces de mort ;

 où le pullulement cellulaire, intuitivement exubérance de vie, se corrompt en morbides métastases.

Or, quels sentiments expriment mieux cette vitalité, cette volonté de vivre, que la solidarité et l’altruisme ?

 Ces armes, précieuses contre le cancer, sont l’apanage, non seulement des associations comme la vôtre,

 mais aussi des artistes, et que je me réjouis des concerts et des animations qui se tiennent aujourd’hui à La Villette, pour le grand public.

Permettez-moi, enfin, de vous souhaiter à nouveau un joyeux centenaire, et je souhaite que le nouveau siècle qui s’ouvre à vous soit tout aussi couronné de succès.

Je vous remercie pour votre attention, et je termine en disant : « longue vie à la Ligue ! ».

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