Discours d’Agnès Buzyn : clôture de la journée départements- CNSA 30 mai 2018

Seul le prononcé fait foi

Mercredi 30 mai 2018

Monsieur le Président de l’Assemblée des départements de France,
Madame la Présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie,
Madame la Directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, Chère Anne,
Monsieur le Président du Conseil de l’âge,
Mesdames et Messieurs les Directrices et Directeurs d’Agences régionales de santé,
Mesdames et Messieurs les Présidents de conseils départementaux,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les présidentes, présidents, les directrices et directeurs de fédérations et de services,
Chers tous,

Je suis très heureuse de clore cette journée, en présence de Monsieur Bussereau et des acteurs engagés sur le sujet de l’autonomie. Je remercie Anne Burstin et Marie-Anne Montchamp de l’avoir organisée. Je sais que vos débats ont été riches.

Vous le savez, j’ai choisi ce moment pour vous présenter ma feuille de route sur le sujet des personnes âgées et du vieillissement. Il y a, je le mesure, une forte attente, après la prise de parole du chef de l’Etat et les événements qui ont marqué l’actualité des derniers mois dans les Ehpad.

Je veux une nouvelle fois saluer les professionnels du secteur : ils jouent un rôle majeur dans notre système social. Je l’ai déjà dit, je suis frappée à la fois par l’engagement des personnels, mais aussi et surtout par le professionnalisme d’un secteur qui a énormément évolué au cours des trente dernières années, et qui fait face à une transformation profonde. C’est aussi un secteur, en établissement ou à domicile, dans lequel j’ai vu beaucoup d’innovations et d’initiatives, beaucoup d’énergie.

L’attente de la société est légitime. Le vieillissement doit être anticipé et c’est le rôle des pouvoirs publics, au sens large, de préparer l’avenir, d’impulser le changement, de donner le cap. Nous ne partons évidemment pas de rien. De nombreux travaux et des études de qualité sont disponibles et permettront d’éclairer utilement notre réflexion de long terme.

Ma conviction est que notre pays n’a pas encore su trouver un vrai modèle de prise en charge de la perte d’autonomie malgré les progrès considérables accomplis depuis la création de l’allocation personnalisée d’autonomie en 2001 et les récentes mesures de la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Si nous ne prenons pas un virage consistant à mettre fin à une mise à l’écart relative des personnes âgées du reste de la société, nous courrons le risque d’une forme de relégation sociale indigne des valeurs qui fondent notre République. Au fond, ce à quoi j’ai été sensible lors de mes nombreuses visites en établissements pour personnes âgées, c’est combien elles peuvent parfois souffrir d’isolement et de solitude, combien elles ont besoin qu’on leur parle et combien le lien social reste important pour elles.

Non, la vieillesse n’est pas un naufrage !

Elle est un processus biologique naturel sur lequel nul déterminisme social ne peut à bon droit se fonder. La noblesse de la civilisation, ce qu’on appelle le progrès, c’est ce saut dans le « toujours, encore possible » malgré ce qui nous hante : le passage du temps et notre propre finitude.

En ce qui concerne les politiques publiques, quelques convictions simples guideront mon action et seront le fil rouge des changements que je souhaite impulser :
 Il faut partir des besoins des personnes âgées ;
 Il ne faut pas se laisser enfermer dans une vision étroite et sanitaire du sujet ;
 Il faut d’emblée envisager le sujet d’une manière globale, interministérielle et non cloisonnée

Tout d’abord, il faut partir des besoins des personnes âgées et de leurs familles.

Cela suppose de mieux les connaître et de mieux les évaluer.
J’ai demandé à la présidente de la Haute Autorité de Santé de conduire des enquêtes de satisfaction au sein des établissements où résident des personnes âgées. Ces enquêtes seront diffusées dès 2019, après une courte phase d’expérimentation, et leur exploitation nous permettra d’orienter les actions prioritaires à déployer. J’estime qu’il convient aussi de développer activement l’enseignement et la recherche en gériatrie et ce dans plusieurs domaines : la clinique, la recherche fondamentale et aussi les sciences sociales. Mieux connaître peut aider à faire changer le regard et c’est de cela aussi dont nous avons besoin.

Il faut ensuite ne pas se laisser enfermer dans une vision sanitaire du sujet.

Certes, je suis ministre des solidarités et de la santé et donc attentive à l’évolution de notre système de santé. Il doit faire des progrès importants afin de mieux prendre en charge les personnes âgées. Les annonces en matière de reste à charge zéro sur l’optique, le dentaire et les prothèses auditives, accorderont une attention particulière aux personnes âgées. Il faut revoir la chaîne des prises en charge et par exemple clarifier le rôle respectif des soins de suite et de réadaptation, des unités de soins de longue durée par rapport au établissement médicalisés pour personnes âgées.

Le savoir sur les personnes âgées, la gériatrie et la gérontologie, doivent davantage irriguer en profondeur le fonctionnement de notre système de santé. Il doit notamment être davantage présent dans les formations des médecins, des infirmières, des aides-soignants. Et je ne parle pas seulement de la formation initiale : je parle de la formation tout au long de la vie, de la validation des acquis, des évolutions de carrières au sein du secteur.

La feuille de route que je dévoile aujourd’hui confirme le lancement d’un véritable plan métiers et de compétences, en lien avec le ministère du travail, les employeurs du secteur (fédérations, associations, entreprises, branches) et les organismes de formation (du secteur privé et public). Je le rappelle, le secteur des personnes âgées est un secteur d’avenir en matière de création d’emplois et qui connaît pourtant des difficultés de recrutement déjà qui pourront se révéler problématiques compte tenu de l’augmentation des besoins à couvrir dans les années qui viennent.

Je porte une stratégie de transformation du système de santé centrée sur les parcours, la pertinence des prises en charge et le décloisonnement des intervenants. Elle profitera d’abord aux personnes âgées dont les maladies, la vulnérabilité particulière doivent orienter les organisations, les actes et les pratiques. Elle concernera d’abord les personnes âgées parce que nulle autre population comparable en volume ne nécessite autant de coordination dans des lieux aussi divers : l’hôpital, ses urgences et ses services d’hospitalisation, la ville, le domicile, l’établissement d’hébergement.

Tout cela est important, bien sûr mais il faut aussi autre chose.
Vieillir, c’est d’abord continuer à vivre normalement le plus longtemps possible.

Et qu’est-ce que vivre ? Il y a deux choses indispensables pour vivre dignement : avoir une maison et être dans le monde. Que l’une de ces deux conditions manquent et alors la vie, la dignité, ce qui fait l’humain sont affectés.

La maison d’abord :
Il s’agit d’avoir « une chambre à soi » comme l’écrivait Virginia Woolf dans un ouvrage du même nom. Une chambre à soi, c’est un lieu que l’on a choisi, le lieu de l’intimité. Force est de constater que les institutions préservent mal ce libre choix et cette intimité. Ce n’est pas la faute du personnel, ce n’est pas la faute des gestionnaires, ce n’est pas la faute des familles. C’est notre responsabilité à tous.

On entre dans les Ehpad le plus souvent sans y consentir et faute de mieux. On s’y résigne. On y vit ensuite une existence à part, marquée par le poids de la norme collective, que ce soit pour les horaires, les repas ou bien simplement la liberté d’aller et de venir. Il faut changer cela autant qu’il est possible de le faire : les lieux où vivront à l’avenir les personnes doivent être plus ouverts et permettre de préserver le plus possible une marge pour des choix individuels, ce qui suppose d’abord de prendre le temps de les faire émerger et de les rendre possibles, au sein même du fonctionnement des organisations, dans l’épaisseur du quotidien et des gestes qui rythment la vie.

C’est en partie une question de moyens, en partie une question de priorités, de savoir et de formation. Quand je parle de priorités, il faut se donner les moyens de les faire émerger en partant des personnes elles-mêmes parce que les familles n’ont pas nécessairement les mêmes attentes, je pense notamment à l’équilibre à trouver entre liberté et sécurité. Nous savons que ce dernier point est délicat et il matérialise bien une responsabilité qui est celle de la société toute entière.

Après la maison, le monde. Cela me conduit à la question de l’interministérialité de la politique publique concernant les personnes âgées.
Je ne veux pas que l’on se trompe collectivement de cible.
La vieillesse n’est pas la perte d’autonomie. L’espérance de vie en bonne santé a progressé et, en moyenne, les hommes et les femmes passent moins de trois années avec des besoins de soins importants.
Il faut faire baisser ce chiffre et ce sera le rôle de la prévention que je souhaite développer. Dès 2018, un plan, de prévention en Ehpad sera financé et piloté par les agences régionales de santé, à hauteur de 15M€ et 30M€ en 2019.

Mais il faudra surtout et avant tout que la ville s’adapte, que les transports s’adaptent, que le logement s’adapte pour créer les conditions d’une société qui n’exclut personne. Les acteurs de la filière « Silver Economie » pourront apporter leur pierre à cet édifice, s’organiser pour faire avancer la société inclusive que chacun attend.

Cette politique publique ne peut être menée qu’à l’échelle des territoires et en associant tous les acteurs. C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à dévoiler ma feuille de route aujourd’hui, pour dire combien je souhaite travailler avec l’ADF et les départements pour trouver les contours de l’ambition de demain. Avec les associations également parce que la cohésion sociale passe aussi par l’engagement associatif et les valeurs qu’il porte, notamment en ce qui concerne la lutte contre l’isolement. Au-delà, je le redis, c’est l’affaire de chacun d’entre nous, de notre capacité à faire société y compris avec les plus fragiles. C’est, il me semble, le sens de la cohésion sociale.

Après les principes directeurs, venons-en aux mesures concrètes de court terme.
Je ne vais pas toutes les détailler car elles figurent dans le dossier de presse.
En ce qui concerne les Ehpad, j’ai bien conscience qu’il faut les soutenir dès aujourd’hui. S’ils doivent prendre des virages, ce n’est pas en les privant de moyens que l’on va y arriver.

Donc, je consacrerai 360M€ de plus en trois ans à l’accroissement des dotations soins en Ehpad. Cela permet de recruter du personnel et de les affecter auprès des personnes âgées. Cela représente 147M€ de plus d’ici 2021 que ce qui était prévu dans la trajectoire de l’ONDAM à l’appui de la réforme de la tarification. C’est une accélération significative du plan de médicalisation des EHPAD.

Dans le prolongement des préconisations du rapport du médiateur Pierre Ricordeau que j’avais nommé au mois de février dernier, je m’engage en outre à ce que la réforme de la tarification des EHPAD ne conduise à aucune baisse des dotations, ni en soins ni en moyens relatifs à la dépendance pendant deux années, 2018 et 2019. Je demande aux ARS et aux présidents des conseils départementaux d’y travailler ensemble dans chaque département et de me faire remonter les éventuelles difficultés.

Nous mettrons à profit ces deux années de pause pour améliorer le modèle de tarification, en revoyant le système d’évaluation des besoins et en insérant dans le calcul des dotations une valorisation des actes de prévention dès 2020.

Toujours en ce qui concerne les Ehpad, je souhaite les soutenir dans l’organisation de la prise en charge de la santé des résidents.

A cet effet, j’ai ouvert une concertation large visant à étendre le rôle de prescription du médecin coordonnateur tout en préservant ses missions actuelles qui sont bien sûr essentielles et doivent être maintenues. A l’indispensable réforme du rôle de médecin coordonnateur s’ajoutera l’accélération du passage des établissements au tarif global qui permet de mieux organiser les soins et d’articuler convenablement les interventions des professionnels, y compris les médecins généralistes. Toujours en matière de tarification, un autre chantier me semble indispensable et devra être conduit rapidement : la remise à plat des règles et des pratiques concernant l’habilitation à l’aide sociale, bien évidemment en lien avec les départements et les représentants des gestionnaires.

Je souhaite aussi que la télémédecine, les pratiques infirmières avancées et les soins palliatifs se développement en Ehpad. Mourir à l’hôpital ne doit plus être une fatalité et ne correspond pas au souhait des personnes elles-mêmes. Cela aussi doit changer.

En outre, je donnerai aux ARS les moyens d’organiser d’ici 2020 une généralisation de la présence d’infirmiers en Ehpad la nuit, sous forme d’une mutualisation entre Ehpad.

Enfin, dès 2019, mille places d’hébergement temporaire seront financés par l’assurance maladie pour permettre des sorties d’hospitalisation sans reste à charge élevé.

Je n’oublie pas le domicile. 100M€ seront consacrés en 2019 et 2020 à la réforme de la tarification de l’aide à domicile pour soutenir les acteurs et recruter du personnel. Là encore, ne nous trompons pas de cible : une offre de services de qualité, accessible et bien intégrée au plan territorial est notre priorité pour demain.

L’ensemble de ces mesures permet de répondre aux besoins immédiats et d’impulser un changement dans les pratiques. Il convient en parallèle de repenser en profondeur le modèle de prise en charge et de préparer l’avenir.

C’est la raison pour laquelle, conformément aux souhaits du Président de la République, je lancerai dans les prochaines semaines un débat public et citoyen sur le modèle et le financement de la perte d’autonomie pour les années 2025-2030. Ce débat public devra nous permettre de bien identifier les priorités de politiques publiques et, en fonction de leur nature d’organiser au mieux leur financement. J’insiste sur le fait qu’il faut passer par une étape d’identification de nos priorités. Le débat ne doit pas être purement budgétaire même si bien sûr nous savons tous qu’il faudra dépenser plus à l’avenir, compte tenu des évolutions démographiques et des besoins.

Nous avons trois blocs de réflexions à conduire d’ici la fin de l’année 2018 et le début de l’année 2019 et deux enjeux transversaux.
Les blocs de réflexions :
 Quelles sont nos priorités, le socle de biens et de services
qui doivent être à l’avenir accessibles à toutes les personnes âgées pour accompagner le vieillissement et la perte d’autonomie ?
 Quels sont les scénarios de répartition des contributions de chaque acteur pour assurer un financement pérenne et solidaire de la perte d’autonomie ?
 Comment faire évoluer la gouvernance nationale et territoriale des politiques publiques du vieillissement et de la perte d’autonomie ?

Les enjeux transversaux :
 Comment mieux soutenir les aidants et mieux former les professionnels ?

La concertation et le débat public seront organisés aux niveaux national et territorial. Une consultation citoyenne permettra à chacun de s’exprimer et de contribuer.

En plus des nombreux rapports qui sont déjà sur la table, dont celui très récent du Comité national consultatif d’éthique, plusieurs nouveaux travaux lancés depuis mon arrivée viendront nourrir les débats et la réflexion  :
 Ceux du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge et du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie ;
 Ceux du conseil de la CNSA, sous l’égide de sa présidente, au sujet des principes et des conditions de réussite de la transition vers une société inclusive ;
 Ceux enfin de la Commission nationale pour la promotion de la bientraitance présidée par Monsieur Denis Piveteau.

Bien sûr, je compte aussi sur les parlementaires déjà fortement mobilisés sur le sujet pour m’apporter une contribution éclairée et toujours utile.

Vous voyez que les prochains mois seront riches et que j’attends beaucoup de vous. Il s’agit qu’enfin, ensemble, nous trouvions les leviers de la transformation, pour répondre aux besoins de nos concitoyens.

Je vous remercie de votre attention.

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