Discours d’Agnès Buzyn - Colloque sur « le pouvoir d’agir (empowerment) des patients questionne l’éducation thérapeutique et ses acteurs », le mercredi 31 janvier 2018

seul le prononcé fait foi

Chère Professeure Sylvie Legrain,

Chère Professeure Karine Lefeuvre,

Monsieur le directeur du Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, cher Jean-Luc Roelandt,

Mesdames et messieurs les professionnels de santé, chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi de clore ce colloque en évoquant ce beau concept que nous devons au prix Nobel d’économie Amartya Sen, ce concept de « capabilité » qui repose sur la liberté effective, concrète, à engager des actions pour soi-même, pour améliorer son bien-être.

En d’autres termes, la capabilité constitue la capacité à exercer un libre choix.

1. L’éducation thérapeutique du patient (ETP) doit répondre de façon innovante à cet enjeu d’autonomie des patients – en particulier de ceux atteints d’une maladie chronique.

Nous le savons, le nombre de patients atteints d’une ou plusieurs maladies chroniques, parfois complexes, évolutives, avec un impact sur leur vie quotidienne est croissant.
Si l’éducation thérapeutique prend en charge de manière innovante le patient, c’est qu’elle le rend :

­ acteur et responsable de sa santé ;

­ en favorisant son autonomie.

2. Grâce à la reconnaissance législative et réglementaire de l’éducation thérapeutique du patient :

  un nombre significatif de programmes émergent ; mais encore trop peu de personnes en bénéficient.

Depuis 2010, en application de la loi, près de 4 000 programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP) ont été autorisés en France pour une période de 4 ans.

Or, les données disponibles soulignent une pratique fortement hospitalière et hétérogène selon les pathologies :

  ainsi, les programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP) sont très majoritairement portés par des structures hospitalières de court séjour ;

  les autres programmes autorisés, quant à eux, sont gérés par des services :

o de soins de suite et de réadaptation (12%) ;

o et par des réseaux de santé (3,3 %).

Seulement 3,9 % des programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP) sont assurés en ville par :

  des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP),

  des pôles de santé pluridisciplinaires,

  des cabinets ou des centres de santé.
En outre, les pathologies les plus représentées sont des pathologies, « traditionnelles », si j’ose dire, de l’éducation thérapeutique du patient (ETP).

Ces programmes autorisés concernent principalement :

­ le diabète (31 %) ;

­ les maladies cardio-vasculaires (14 %) ;

­ et les maladies respiratoires (10 %).

14 % des programmes sont destinés à des patients porteurs de poly-pathologies.

En psychiatrie, des programmes de psycho-éducation existent. Ces programmes ciblent les personnes ayant des troubles mentaux ou leurs proches.

Certains programmes, comme « Pro-Famille », ont fait la preuve de leur efficacité dans l’amélioration de la qualité de vie des personnes vivant avec une schizophrénie et de leurs proches, et dans la prévention des crises.

3. Pour autant, le développement de l’éducation thérapeutique du patient n’a pas toujours été accompagné d’une personnalisation du contenu de séances, notamment dans les programmes autorisés.

En effet, parmi les patients ayant participé à des séances d’éducation thérapeutique (ETP), certains se plaignent de programmes :

  peu accessibles au plan géographique ;

  standardisés ;

  « bio médicaux centrés » dans leurs contenus et ne tenant pas compte de leurs besoins ;
  et qui ne prennent pas en compte leurs savoirs expérientiels, ainsi que de leurs attentes sur le fait de vivre avec une maladie chronique.

Les pratiques s’éloignent encore des principes largement partagés :

­ partir du besoin des patients pour négocier des objectifs personnalisés de soins ;

­ travailler en pluri professionnel ;

­ valoriser les compétences des patients ;

­ privilégier l’alliance thérapeutique ;

­ pour les professionnels, analyser ses pratiques.

4. C’est pourquoi le développement de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) doit être davantage centré sur le patient lui-même.

L’éducation thérapeutique du patient (ETP) est, comme son nom l’indique, au service des droits du patient, de son information et de sa liberté de choix sur les décisions de santé qui le concernent, en intégrant une démarche d’empowerment.

Si l’anglicisme n’est pas dans mes habitudes, il traduit fidèlement – et de façon plus élégante – la notion d’autonomisation du patient.

L’empowerment est la prise en charge de l’individu, par lui-même, de sa destinée économique, professionnelle, familiale et sociale.

Il doit renforcer les capacités de prise de décision et d’action de la personne confrontée à une vulnérabilité en santé afin de maintenir ou d’accroître son autonomie.

Nous devons prendre en compte, dans la démarche d’éducation thérapeutique du patient (ETP), les points qui doivent améliorer sa qualité :
­ proposer des séances d’éducation thérapeutique du patient (ETP) non centrées sur la maladie mais sur la vie quotidienne et les besoins des personnes concernées ; en santé mentale, l’objectif en est le rétablissement de la personne ;

­ insister sur les savoirs expérientiels des personnes malades, et les associer à la construction des programmes, mais aussi à l’animation des séances ;

­ prendre en compte de la multi morbidité ;

­ rendre l’éducation thérapeutique du patient (ETP) accessible, voire intégrée aux soins, mais en dehors de l’hôpital ;

­ et travailler sur les problématiques communes aux publics vulnérables.

En un mot, l’éducation thérapeutique doit être généralisée sans être standardisée.

5. Elle n’est pourtant pas le seul vecteur de promotion d’empowerment dans notre système de santé.

En 2016 et 2017, le ministère a sélectionné 28 projets-pilotes dans le cadre d’une expérimentation sur 5 ans de l’accompagnement à l’autonomie en santé.

L’autonomie en santé s’adresse aussi bien aux personnes vivant avec une maladie chronique, qu’aux personnes à risque, ou à celles en situation de handicap.

Les actions proposées doivent tenir compte des besoins des personnes bénéficiaires et peuvent être personnalisées et protéiformes :

­ information sur la prévention de maladies chroniques et des risques en santé ;
­ information sur la maladie chronique et ses conséquences ;

­ soutien pour l’accès aux droits et aux prestations ;

­ médiation et mise en relation entre le bénéficiaire et les actions d’aide, de soins et de promotion de la santé incluant notamment l’éducation thérapeutique ;

­ support et formation.

En ce qui concerne la santé mentale, la feuille de route du ministère reconnait l’importance de l’empowerment et du rétablissement des personnes vivant avec des troubles psychiques, rétablissement qui doit guider le projet de vie et le parcours de soins.

Les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) coordonneront les acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux pour offrir un accès à des prises en charge sans rupture.

Ce projet précise que la réhabilitation psycho-sociale, qui inclut la psycho-éducation, doit être accessible partout.

6. Déjà, à la présidence du collège de la Haute Autorité de Santé (HAS), j’ai pu exprimer ma vision du « pouvoir d’agir ».

Je ne veux pas, ici avec vous, seulement saluer les acquis de l’empowerment, mais aussi anticiper l’avenir de ce mouvement.

Pour ce faire, nous devons donner à la notion de « soin » un sens large, celui de prise en charge de l’usager du système de santé.

Lors d’un atelier à Salzbourg, dans les années 1990, une formule, prononcée en anglais, avait alors fait mouche : « nothing about me, without me ».

A cet égard, la révolution numérique répond :

  non seulement à un besoin d’information et de transparence ;
  mais aussi à un besoin d’échanges entre malades – ce qu’on appelle «  l’empowerment collectif ».

Cela étant, ce « pouvoir d’agir » n’est pas seulement un besoin du patient, mais aussi une nécessité pour le système de santé.

A une époque où les maladies sont de plus en plus complexes, et de plus en plus chroniques, le patient, fort de son vécu, en sait parfois plus sur sa santé que son médecin.

Nous devons aussi nous inspirer des expériences étrangères. Je pense en particulier au modèle de Montréal, qui a abouti, à partir du savoir expérientiel des malades, à un référentiel de compétences intégré au système de santé, dans une dynamique de co-construction.

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Mesdames, Messieurs,

Vos préconisations vont enrichir les projets que je mène dans ce domaine, et s’intégrer dans le plan national de santé publique (PNSP).

L’implication des patients ne saurait, en effet, se résumer à une démocratie purement institutionnelle.

Tout comme vous, je souhaite que la démocratie sanitaire aille au-delà de la nécessaire représentation des patients dans les instances du monde de la santé.

Les patients, et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne leur sécurité, sont :

  des partenaires indispensables de chaque instant,

  des co-auteurs de leur prise en charge,

  des experts de leur propre santé.

C’est aussi, par-là même, reconnaitre leur droit à faire un libre choix. Le serment d’Hippocrate, que j’ai moi-même prêté, le dit bien :
  « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions ».

Je vous suis reconnaissante du travail réalisé, et suis certaine que nos efforts portant leurs fruits, pour faire de l’usager un acteur, pour faire du patient un partenaire.

Je vous remercie.

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