DISCOURS DE Madame Agnès BUZYN Ministre des Solidarités et de la Santé - Congrès de l’ANEMF – Caen

Madame la Ministre de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation, chère Frédérique Vidal,

Monsieur le préfet,

Monsieur le recteur,

Monsieur le Président de l’université,

Messieurs les doyens,

Madame la directrice générale de l’ARS, chère Christine Gardel

Monsieur le directeur général du CHU,

Mesdames et Messieurs les professeurs, chers collègues,

Monsieur le Président de l’ANEMF, cher Yanis Merad.

Chers étudiantes, chers étudiants,

Si nous nous adressons, Frédérique Vidal et moi-même, à des étudiants, avec des envies d’étudiants, c’est également aux futurs professionnels de santé que je veux parler.

Vous le savez, notre système de santé est confronté à des évolutions majeures :

  vieillissement de la population et prévalence des maladies chroniques,

  une révolution technologique et numérique avec le développement des technologies « omiques », le développement de logiciels et l’intelligence artificielle, de « bots » pour analyser les images et synthétiser les grandes données de santé permettant ainsi d’aller vers la médecine de précision,

Il faut rajouter à cela le déploiement de la télé consultation et de la télémédecine.

Nous devons vous accompagner dans ces évolutions :

  en modifiant nos organisations,

  mais surtout en anticipant les évolutions de notre ressource la plus précieuse : les soignants.

C’est dans cet objectif que j’ai lancé l’un des quatre chantiers de la stratégie de transformation du système de santé : la formation et les ressources humaines, dans une vision :

  longitudinale, du recrutement des professionnels à la recertification ;

  et transversale – j’ai voulu tenir compte de tous les métiers de la santé.

Hier, notre système était très hiérarchisé, on distinguait les professions médicales et celles qu’on appelle encore paramédicales.

  Les uns étaient formés à l’université, les autres non ;

  Aucun temps de formation en commun ne les préparait à coopérer, à travailler en équipe ;

  Les niveaux de compétence et d’autonomie étaient discontinus, sans métier intermédiaire et sans passerelle entre les métiers.

Avec tous les acteurs, nous travaillons à rendre notre système plus fluide, et plusieurs des transformations concernent vos études.

Nous avons lancé avec Frédérique Vidal le chantier de rapprochement, d’universitarisation des formations paramédicales et maïeutiques.

Nous évoquions ce matin les évolutions de l’admission des étudiants en soins infirmiers et leur inscription à l’université.

En l’espace d’un an seulement, nous avons donné naissance au service sanitaire ; nous en avons fait un temps d’acquisition en commun des compétences de prévention et de promotion de la santé.

Félicitations aux équipes de Caen qui nous accueillent ; et qui nous ont montré ce matin comment elles pensaient leurs actions, de façon pluri-professionnelle.

Enfin, avec résolution, et par la concertation :

  nous avons mené à bien le chantier de définition des compétences et des formations d’infirmier de pratiques avancées,

  nous avons installé un premier métier, les infirmiers de pratique avancée, pour établir cette continuité des compétences et cette coopération entre professionnels dont les patients, plus que jamais, ont besoin, je pense en particulier aux patients atteints de maladies chroniques.
Dès l’an prochain, cette formation sera ouverte dans une dizaine d’universités, et probablement en Normandie, puisque les universités de Caen et Rouen ont déposé un dossier commun d’accréditation.

Nous avons évoqué tout à l’heure la révolution numérique.

Hier, le médecin avait en mémoire toutes les connaissances qu’il utilisait ;

  demain, et déjà aujourd’hui, les médecins utilisent en routine de logiciels d’aide à la prescription, d’interprétation d’images ou de signaux.

Quant au patient, il peut proposer en consultation de se connecter, à telle ou telle source d’information qui concerne sa propre maladie, et qu’il a déjà consultée.

  Ainsi, les pratiques professionnelles changent, et le patient est devenu un partenaire à part entière du médecin.

Hier, notre système de santé, notre système de formation étaient fortement centrés sur l’hôpital ;

  aujourd’hui et demain, les Français souhaiteront disposer à la fois de soins de qualité, et du confort d’être chez soi – y compris les patients âgés ou dépendants.

Les études de médecine doivent donc s’adapter à ce nouveau contexte :

  où la coopération entre professionnels est l’élément qui fait la différence dans la qualité de la prise en charge ;

  où le savoir encyclopédique est moins important que la capacité à synthétiser des informations et à nouer une alliance avec le patient, avec son libre consentement, au service de ses propres choix.

Nous devons donc :

  renforcer les connaissances de base, sur lesquelles se construit le regard critique des autres connaissances ;

Nous devons aussi :

  développer l’habileté des médecins à chercher des informations, à les critiquer, à les incorporer à leur pratique, et à utiliser, à concevoir les outils, les logiciels d’aide à l’exercice de la médecine, à coopérer avec d’autres professionnels de santé ;

Nous devons enfin renforcer l’apprentissage et l’évaluation des compétences relationnelles des médecins.

  Lorsque le médecin n’est plus le seul à disposer de l’information,

  lorsque celle-ci est complexe,

  lorsque les choix thérapeutiques sont en grande partie définis par des recommandations…

  …la relation médecin / patient ne disparait pas : elle se recentre au contraire sur ce qu’elle a de plus essentiel, la relation d’un humain souffrant et inquiet, avec un autre humain, disposant des compétences nécessaires pour l’aider à prendre les décisions qui le concernent.

Aristote le disait déjà, je le cite : « Le médecin, qui soigne un malade, ne guérit pas l’homme, si ce n’est d’une façon détournée ; mais il guérit Callias, Socrate, ou tel autre malade affligé du même mal ».

Vous ne soignerez jamais le malade avec un grand M, mais tel ou tel patient, dans sa singularité la plus irréductible, dans sa solitude la plus nue.

C’est avec ces valeurs au cœur, c’est avec ces objectifs à l’esprit, que nous redessinerons la formation du second cycle et l’accès au troisième cycle.

Le second cycle doit permettre l’acquisition des connaissances fondamentales pour tous les métiers de médecin.

Les épreuves classantes nationales ont eu des vertus, indéniablement :

  homogénéiser les référentiels utilisés par tous les étudiants en médecine,

  poser de bonnes questions : « quelle est la recommandation ? », « a-t-elle été actualisée ? »

Je dois vous faire un aveu : ce réflexe, les étudiants de ma génération ne l’avaient pas.

A l’époque, nous nous contentions encore d’assertions, dans le genre de « on considère classiquement que », qui signifiaient, à la vérité, que personne ne savait vraiment.

C’est grâce à la lecture critique d’articles que la médecine fondée sur les preuves est véritablement entrée dans ma vie, et dans le quotidien de tous les étudiants.

Le médecin et la présidente de l’HAS que j’ai été, la ministre que je suis, ne peut que s’en réjouir, et c’est bien pourquoi je place au premier rang de mes priorités la pertinence clinique des soins.

Sans doute devons-nous limiter le référentiel de second cycle, pour y distinguer ce qui est essentiel à tout médecin de ce que tel spécialiste apprendra plus tard, le bloc primaire et le bloc secondaire ;

  mais nous devons préserver l’évaluation nationale des connaissances de base, que chaque Français exige, et est en droit d’exiger de l’interne de premier semestre qu’il est amené à rencontrer.

Le second cycle doit aussi permettre l’acquisition de compétences.

Les principaux gestes doivent être maitrisés, ils doivent avoir été appris en simulation, « jamais la première fois sur un patient » ; et leur pratique doit être évaluée.

Mais les patients attendent aussi de vous un comportement éthique qui les aide le mieux

  à vivre leur situation,

  à prendre les décisions qui les concernent,

  à faire face à des drames parfois terribles.

Un étudiant de fin de second cycle :

  doit savoir expliquer pourquoi un examen complémentaire va être réalisé, si cela va être désagréable ;

  Il doit savoir comprendre que la demande du patient, ou son hostilité, reflète son inquiétude de ce que cet examen pourrait avoir comme résultat ;

  Il doit savoir repérer que lui-même ou un de ses collègues est très inconfortable devant telle situation difficile, et savoir ou trouver de l’aide.

Réorganiser l’accès au 3e cycle, c’est rendre présentes l’acquisition et l’évaluation des compétences cliniques tout au long du 2nd cycle, toutes deux constitueront l’essentiel de la 6e année.

Renforcer l’évaluation en stage, généraliser la formation en simulation, rendra fiable et reproductible l’évaluation de ces compétences et permettra d’en tenir compte dans l’orientation vers les différentes spécialités.

Enfin, nous devons vous accompagner davantage dans la définition de votre projet professionnel.

Le stage de 2e cycle de médecine générale doit être généralisé, c’est-à-dire réalisé par 100% des étudiants de toutes les facultés de médecine ; et nous travaillons à lever tous les obstacles au recrutement de maitres de stage.

Les parcours doivent être personnalisés :

  je pense à ces étudiants, nombreux, qui ont le projet d’un exercice de la médecine générale, en ambulatoire, parfois dans un territoire qu’ils connaissent, ou qu’ils ont découvert au cours de leurs études doivent être confortés dans la construction de ce projet,

  et qui ne doivent, en aucune façon, se trouver entrainés dans un bachotage qui leur en fait perdre l’objectif.

L’admission dans le troisième cycle se fera donc selon une procédure rénovée ; l’Etat gardera la responsabilité de définir, en lien avec les besoins de santé et les capacités de formation, recensés auprès des acteurs des territoires, la répartition des postes d’internes ouverts chaque année par spécialité et par subdivision ; mais chaque étudiant pourra faire valoir trois éléments :

  ses connaissances évaluées en fin de 5e année,

  ses compétences évaluées en fin de 6e année,

  et son profil, défini par un nombre limité de paramètres exprimant la personnalisation de son parcours, et qui deviendra donc un atout, et non plus un obstacle.
Un travail important reste à faire pour préciser les conditions exactes de chacune de ces évaluations, leur prise en compte pour l’accès aux différentes spécialités dans un processus que vous avez baptisé du nom de « matching » - je vous pardonne cet anglicisme.

Mais je ne doute pas que nous trouverons, ensemble, les méthodes qui permettront à l’enseignement de la médecine de mieux servir l’intérêt de futurs patients et des actuels étudiants, dans un système de santé transformé et adapté aux enjeux de la médecine du futur.

Et je suis également convaincue que ces nouvelles voies que nous ferons emprunter à la formation de nos futurs médecins contribueront à améliorer la qualité de leurs conditions de vie tout au long de cette partie essentielle de leur cursus, préalable à leur orientation vers une spécialité et une subdivision pour y réaliser leur 3ème cycle.

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Chers étudiants,

J’aimerais conclure sur trois points.

Lorsque j’étais médecin à Necker, j’ai souvent pensé au professeur Jean Hamburger, qui avait marqué la mémoire de cet hôpital.

Il écrivait, dans son ouvrage La Puissance et la fragilité, que je vous conseille, un avertissement digne d’intérêt, je le cite :

« A vouloir enseigner trop de médecine, on n’a plus le loisir de former le médecin. »

J’ai toute confiance en vos efforts, en nos efforts, pour offrir à notre pays un système de santé de qualité, qui réponde pleinement aux attentes des Français.

Le deuxième point, j’ai pris connaissance avec Frédérique Vidal du dossier de presse que vous avez rendu public le 13 juin dernier sur le statut et les conditions de travail des étudiants hospitaliers.

Des engagements ont été pris pour organiser le suivi des recommandations du Docteur Donata Marra sur les risques psycho-sociaux des étudiants : ils seront tenus.

J’ai également en tête vos demandes sur le besoin d’un meilleur encadrement des gardes : J’ai demandé à mes services de reprendre le dossier.

Plus largement, j’aurai à cœur de mettre mon ministère en situation de cohérence : dès lors que la réalisation de stages hors du CHU devient de plus en plus fréquente, nous devons en tirer toutes les conséquences sur les dispositifs d’accompagnement et de soutien des étudiants, en lien ou non avec les collectivités territoriales

Le troisième point porte sur vos atouts et au premier rang desquels : votre jeunesse :

­ la jeunesse est l’âge du possible : rien ne doit être trop difficile pour vous, vous devez être capable de toutes les abnégations.

­ j’aime ces mots de Tristan Bernard : « L’inexpérience est ce qui permet à la jeunesse d’accomplir ce que la vieillesse sait impossible. »

Puissiez-vous les méditer, lors de vos vacances d’été, bien méritées.

Je vous remercie.