Discours de Madame Agnès Buzyn Ministre des solidarités et de la santé - Remise des insignes de Grand Officier de l’ONM

Le lundi 16 avril 2018
Seul le prononcé fait foi

Mesdames, messieurs les professionnels de santé,

Mesdames, Messieurs,

Professeur Syrota, cher André,

Devant un parcours aussi riche que le vôtre, résumer vos prouesses, nombreuses et exceptionnelles, est un exercice difficile.

1. Exercice d’autant plus périlleux, cher André, que votre parcours n’avait rien de prédestiné, rien d’évident au départ.

1.1. Vous êtes né à Livry-Gargan en 1946. Après des études secondaires au Raincy, vous faites des études supérieures aux facultés de médecine et des sciences de Paris.

Alors que vous êtes élève en 3ème, vous êtes hospitalisé en salle commune à l’hôpital du Raincy, pour une fracture de la jambe. Votre premier contact avec le monde hospitalier, c’est le cas de le dire, est accidentel.

Si vous décidez de faire médecine, c’est, dites-vous, « tout à fait par hasard ». Vous étiez bon en mathématiques et en physique, dans une famille où faire médecine était une sorte de déchéance.

Souvent, vous rappelez la vision de la médecine et de la recherche au début des années 1960, vision toute empreinte d’une certaine condescendance, notamment dans les grands corps de l’Etat ; en somme, la médecine, c’était bon pour ceux qui rataient leur entrée en classe préparatoire !
C’est probablement contre cette vision des choses que vous réagissez. Votre choix contraste alors avec celui de votre frère, ici présent, qui intègre finalement Polytechnique, puis le Corps des Mines.

  En somme, il a fallu que vous deveniez interne des hôpitaux de Paris pour qu’il considère que l’internat corresponde à l’entrée à l’X et l’agrégation en médecine au corps des Mines.

L’amusant dans cette histoire, cher André, est que votre frère est devenu président-directeur-général (PDG) de la Cogema, laquelle était liée au Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

  Le hasard – ou la providence, je vous laisse juger – a donc fait que vous vous y êtes retrouvés, chacun pour des raisons différentes.

1.2. Après votre internat, vous devenez docteur en médecine de la faculté Xavier-Bichat (1975), votre sujet de thèse est « la gamma-splénoportographie ».

En effet, comme, de votre propre aveu, vous n’étiez pas trop mauvais en mathématiques et en physique, on vous proposa de vous orienter vers la biophysique.

Votre thèse porte sur une nouvelle méthode de mesure du débit sanguin dans la veine splénique,

  le versant clinique étant la compréhension de la physiopathologie des splénomégalies méditerranéennes,…

  …qui intéressait alors le Dr André Paraf, un ancien élève de Jacques Caroli.

Vous développez une méthode de mesure du débit avec le biophysicien Maxime Hans, un ancien médecin militaire qui travaillait au Muséum national d’histoire naturelle.

C’est lui qui vous oriente vers la biophysique et la médecine nucléaire, voie que vous choisissez finalement.
Bien que rien n’ait été programmé dans votre esprit, c’est par le biais de la biophysique faite dans l’excellent service d’André Paraf que vous retrouvez votre intérêt pour les mathématiques,

  autrement dit par le fait du hasard, d’une suite de circonstances, pour ne pas dire de chance.

1.3. Vous commencez à faire de la médecine nucléaire et de la biophysique à Bichat (1975).

C’est dans l’unité Inserm de Jean-Jacques Pocidalo, à qui vous devez toute votre carrière, que vous faites votre thèse. Il sait vous inspirer confiance : c’est sans doute pourquoi votre amitié dépasse le cadre du travail, et persistera jusqu’à sa mort.

  Lorsque le Pr Jean Coursaget alors chef du département de biologie du CEA, et biophysicien à Broussais ;

  et le Pr Claude Kellershonn, chef du Service Hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ) du CEA à Orsay ; et responsable de la biophysique à Necker…

…sont venus voir Jean-Jacques Pocidalo pour lui demander s’il acceptait que vous alliez au Cea, vous n’êtes alors pas au courant de leur démarche.

Le Professeur Pocidalo vous appelle pour vous expliquer que vous auriez davantage de moyens au CEA qu’à l’Inserm pour faire une recherche en imagerie : aussi vous conseillait-il d’accepter la proposition.

Vous étiez très intimidé et inquiet par cette décision – que vous ne pouviez de toute façon pas refuser –, au regard de la réputation internationale du Service Hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ) et de ses chercheurs.
Vous resterez au CEA pendant 30 ans comme praticien hospitalier (de Bicêtre) et professeur à l’université Paris-Sud.

Au CEA, vous assurez plusieurs missions :

  chef du département de recherche en imagerie, pharmacologie et physiologie de la direction des sciences du vivant du CEA (1990-93).

  directeur des sciences du vivant du CEA (1993-2007).

  et fondateur de l’Institut de Génomique regroupant le Génoscope et le Centre National de Génotypage (2009).

Vous y êtes chercheur, depuis 1978, puis chef du Service Hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ) à Orsay, qui compte 250 chercheurs, médecins, techniciens.

Vous avez contribué à sa renommée mondiale, vos recherches portant sur le développement des méthodes d’imagerie fonctionnelle non invasive chez l’homme, qui reposent sur :

  la tomographie par émission de positons (TEP),

  la gamma-tomographie,

  et la résonance magnétique nucléaire (RMN).

Vous étudiez la caractérisation des récepteurs des neuro-transmetteurs dans le cerveau et dans le cœur de façon atraumatique en tomographie par émission de positons.

Vos recherches sont alors menées au service hospitalier Fréderic Joliot du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Orsay :

  vous quantifiez la densité et l’affinité des récepteurs cardiaques, particulièrement des récepteurs muscariniques et bêta-adrénergiques chez le volontaire sain et au cours de l’insuffisance cardiaque ;
  et vous étudiez également certains récepteurs du système nerveux central (dopaminergiques, benzodiazépines).

1.4. La deuxième évolution majeure dans votre carrière, cher André, a été votre nomination à l’Inserm.

Vous êtes contacté en juillet 2007 par Arnold Munich, alors conseiller du président Sarkozy : il vous reçoit dans son bureau aux Enfants-Malades et vous demande si l’Inserm vous intéresse.

On vous a déjà fait la même proposition quelques années plutôt, sans que vous y attachiez beaucoup d’importance. Cette fois, vous répondez oui, non seulement par principe et par politesse, parce que la proposition s’avère sérieuse.

Arnold Munich vous demande d’écrire une note stratégique au mois d’août et, avec Thierry Damerval, vous écrivez un document en trois propositions :

  améliorer le fonctionnement de l’Inserm,

  coordonner la recherche biomédicale entre les divers organismes les universités et les CHU,

  et créer un institut unique des sciences du vivant.

o Ce rapport fut décisif pour la création de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan).

C’est ainsi que vous devenez directeur général de l’Inserm de 2007 à 2008, puis président-directeur général de 2009 à 2014.

Dès votre nomination, vous vous donnez comme objectifs :

  d’instaurer des partenariats avec toutes les structures de recherche ;
  et d’assurer une coopération scientifique au niveau national.

1.5. Qui plus est, vous prenez part à une trentaine d’instances scientifiques et d’administration de la recherche, et pour certaines vous en présidez le conseil d’administration.

Je n’en cite que quelques-unes :

  Aviesan, dont je parlais,

  mais aussi : Science Europe, le Centre Franco-Allemand de Recherche Translationnelle, le Centre d’Etude du Polymorphisme Humain (CEPH), le cyclotron de Caen, l’Institut Universitaire du cancer de Toulouse, ou encore le Conseil national des universités.

1.6. En parallèle, vous enseignez comme professeur des universités – praticien hospitalier (PU-PH) à Paris-Sud, et ce durant 35 ans, de 1979 à 2014.

Vous participez à l’enseignement des premiers cycles d’études médicales ainsi qu’à de nombreux enseignements de 3ème cycle.

Vous avez été aussi professeur à l’Institut des Sciences et Technologies Nucléaires, chargé de l’enseignement de la théorie compartimentale.

2. Pour autant, vos exploits disent peu sur ce qui fait de vous, cher André, un homme si singulier.

2.1. Vos collaborateurs soulignent, non seulement la joie qu’ils ont eu à travailler avec vous, mais aussi le plaisir qu’ils ont eu à découvrir la complexité de votre personnage.

Car oui, c’est moins une « personne » qu’un « personnage » qu’aiment à décrire vos proches.

A première vue, cher André, vous pouvez apparaitre comme froid, comme un taciturne, sinon comme un taiseux.
Or, plus l’on vous côtoie, plus l’on vous apprivoise, et plus la générosité qui vous caractérise affleure.

2.2. Par ailleurs, votre humour, de l’avis de tous, très pince-sans-rire, peut tout à fait surprendre.

Ainsi, vous avez l’habitude de ponctuer vos déplacements internationaux d’un définitif « Tout cela est d’une très grande laideur ! » ; ou bien : « que faisons-nous dans cette galère ? »

2.3. Mais revenons à vos collaborateurs : aucun d’entre eux ne dira avoir travaillé « pour vous » ; mais, bien plutôt, « avec vous ».

Vous êtes toujours attentif à votre entourage, et vous êtes prêt à promouvoir vos collaborateurs, quitte à ce qu’ils suivent une autre voie que la vôtre.

Surtout, vous êtes très ouvert à la jeunesse et très curieux intellectuellement.

  Vous appelez les jeunes chercheurs à faire leur place et à combattre les arrière-gardes.

  De la même façon, vous êtes capable de bousculer les règles lorsque vous affrontez des situations absurdes.

Si vous associez vos équipes dans l’ensemble de vos projets, c’est que vous avez cette intelligence supérieure – et qui fait votre modestie –, de savoir que vous ne savez pas tout.

  Vous aimez consulter autour de vous, réunir des avis : vous êtes toujours à l’écoute, très ouvert à toute proposition, à toute innovation.

  Surtout, vous êtes capable de consacrer des heures à discuter le détail des hypothèses des jeunes chercheurs, avec un mélange singulier de bienveillance, de perspicacité et de rigueur.
  Précis, voire maniaque, vous ne tolérez aucune approximation dans l’interprétation des expériences ; mais, non plus, aucune idée neuve ne vous paraît a priori folle.

Si vous parvenez à prendre des décisions, c’est grâce à votre remarquable esprit de synthèse, mais aussi, sans doute, à votre culture générale, proprement exceptionnelle :

  non seulement vous êtes amoureux du latin et du grec – vous vous êtes d’ailleurs remis à l’étude du grec –, mais vous affectionnez également l’art, et particulièrement l’art africain.

2.4. Aussi, cher André, permettez-moi ce paradoxe, que vous devez à votre humilité : vous êtes très connu, mais personne ne le sait.

Vos collaborateurs s’étonnent à chaque fois, lorsqu’ils vont à l’étranger, de votre stature internationale, tant vous n’en laissez rien paraître, sous vos faux-airs d’administrateur :

  à la fois biophysicien et médecin, double compétence aussi rare qu’essentielle, vous contribuez au rapprochement du fondamental et du clinique.

Surtout, vous êtes un véritable serviteur de l’Etat, dans toute sa noblesse :

  vous savez vous adapter aux majorités politiques, et n’avez en vue que la qualité et la compétence de vos interlocuteurs, en vue de l’intérêt général.

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Cher Professeur, votre parcours, décidément, force le respect.

Rien de tout cela n’aurait sans doute été possible sans Anna, votre compagne depuis 42 ans :

  bien qu’elle n’ait pas au départ de sensibilité particulière pour la recherche, son indéfectible présence vous a été d’un puissant renfort.
  Cet amour, c’est aussi celui de votre fille, de votre fils, et de vos petits-enfants.

Vous recevoir ici au ministère n’est pas pour vous dépayser, puisque beaucoup de vos collaborateurs, d’ailleurs ici présents, ont participé à des cabinets ministériels.

  Je crois savoir que vous y voyez une excellente formation, vous qui avez surtout arpenté le CEA, l’Inserm et l’université.

Cette cérémonie qui nous réunit ce soir, vient parfaire une reconnaissance méritée, puisque vous êtes déjà :

  commandeur de l’ordre National du Mérite ;

  ainsi qu’officier de l’ordre national de la Légion d’honneur.


Professeur André Syrota,

Le rôle constant que vous avez joué en recherche biomédicale, décisif pour notre nation, mérite toute notre reconnaissance.

Au nom du président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous élevons à la dignité de grand officier de l’Ordre national du mérite.

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